Clous - Agota Kristof
Avec Lili, nous vous proposons un rendez-vous poétique chaque premier lundi du mois, au gré de nos lectures.
Pour ce mois de mars, mois du Printemps des Poètes, je relis avec émotion Agota Kristof. Chaque lecture a été marquante, des romans La trilogie des Jumeaux et Hier au recueil de nouvelles C'est égal, jusqu'à son récit autobiographique sur sa relation à la lecture, l'écriture, le français langue d'adoption douloureuse L'analphabète.
- Editions ZOE - 2016 -
- Traduit du hongrois par Maria Maïlat -
Ce recueil qui nous permet de lire la poésie d'Agota Kristof est bilingue. Y sont ressemblés les poèmes qu'elle a écrit en hongrois, abandonnés lors de son exil vers la Suisse en 1956. Ils ont été réécrits de mémoire, d'autres ont été ajoutés. Bien que l'auteure ne les ait pas traduits, elle leur a donné leur titre français. Cette édition est complétée par les poèmes écrits en français et par quelques photographies du premier retour en Hongrie dans les années 70 d'Agota Kristof, train et Budapest.
Une fois, plus tard...
Une fois plus tard je parlerai
de quelque chose de beau de douces
choses tendres avec une imperceptible
tristesse
un soir quand le ciel se remplira de beauté
quand les maisons se feront grises
et tout sera brouillard
Là sous la pluie
parmi les maisons monochromes
je parlerai de l'empire
des feuilles d'automne
car il sera octobre
Derrière le brouillard
vous vous taisez le col
relevé les mains frileuses
dans les poches
sans lumière comme l'ombre
Et la pluie glisse sur nos têtes nues
sous nos cols
douce tendre pluie
tombe sur les maisons sur les arbres et le ciel
devient toujours plus beau
Et la beauté descendra sur vous
avec une imperceptible
tristesse et vous comprendrez que
dorénavant ce sera toujours l'automne.
.
A la lecture, j'ai retrouvé la plume acérée d'Agota Kristof, la violence de sa mélancolie, ses thèmes de l'étrangère, de l'attente et des départs, celui de la perte des êtres, des lieux, des repères, du sens de la vie et l'omniprésence de la mort. Mais j'ai lu aussi la nostalgie de l'été et de la nature, les oiseaux, les vents, les montagnes, et puis l'automne, les feuilles tombent.
Sur la route
A présent inconnue parmi les ombres
furtives de la vitesse je ne sais plus
d'où je suis partie peu importe
la route sera aussi longue que la vie
auparavant au-dessus du pont
j'ai rencontré les arbres muets et je leur ai dit
pensez-vous encore
aux oiseaux envolés
aux oiseaux tombés
la forêt garda le silence et s'en fut plus loin
mais au-delà de tout cela
un coup d'oeil bleu vers les nuages
qui doivent apprendre
les parfums multicolores des fleurs
souples comme l'aube d'avril
où peuvent-elles être maintenant
toutes ces couleurs senteurs et voix
sur le sentiers de montagne recouverts de neige
elles se sont échappées au loin dans le silence
des ponts maisons gens
l'envol d'un baiser quoi de plus fugace
mais un baiser après tout et pourquoi attendre davantage
plus loin des bruissements sauvages sur le champ
les crevasses sombres et fascinantes
comme les yeux des amoureux au crépuscule
le vent gronde nous fonçons hurlant dans la nuit
un claquement et nous y arrivons
quelqu'un s'est trompé
pas encore non
trois mots de travers
le lune quitte le ciel
.
Sur ces pages, il y a des murs blancs ou gris, des rails, des routes hurlantes sur les silences et les absences, tellement d'ombres et des yeux sombres.
Ce qui est frappant, c'est qu'à la lecture des poèmes, nous lisons déjà les romans et les nouvelles ( au point qu'une des poésies s'intitule C'est égal comme le recueil de nouvelle, et elle est en effet la version poétique de la nouvelle éponyme ); les poèmes comme première écriture. Sans la moindre ponctuation.
Ce recueil, pour moi, c'est l'essence même de l'oeuvre d'Agota Kristof. Tout y est écrit, dans la langue natale.
Pas le vent
Le soir les lumières sombrent dans le silence
et nous prenons la route sur les galets du rivage
des ponts blancs
se balancent au-dessus de l'eau et déjà
l'horloge de la tour annonce minuit
ses gongs sont douze oiseaux noirs
ils nous montrent une lune parfaite
C'est pour cela que les arbres tremblent
non ce n'est pas le vent pas le vent
ton regard se refroidit
ton front se refroidit
Où vas-tu ici le sentier touche à sa fin
dans le mur
le maître a oublié de découper une porte
il n'y a même pas une seule brèche par laquelle
tu pourrais regarder de l'autre côté
il y a une seule possibilité
se mettre droit debout
.
- Participation au mois de l’Europe de l’Est d’Eva, Patrice et Goran -
- Avec un grand merci pour ce précieux cadeau -
*
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Commentaires
1 Goran Le 05/03/2018
2 Anne Le 05/03/2018
3 ellettres Le 05/03/2018
4 Lili Le 05/03/2018
5 Aifelle Le 05/03/2018
6 Marilyne Le 06/03/2018
@ Anne : très chouette projet à l'Est ;)
@ Elletres : ah, ce rendez-vous avec Lili me ravit, il me permet de revenir enfin à la poésie :)
@ Lili : c'est l'automne de l'exil, le gris d'une amertume, et le vie malgré tout. Tous les textes d'Agota Kristof sont vibrants et cruels, comme ça.
@ Aifelle : perturbante la Trilogie, mais quelle maîtrise ! Je te recommande alors le recueil de nouvelles ( avant ou après la poésie )
7 Kathel Le 06/03/2018
8 Marilyne Le 06/03/2018
Pour Agota Kristof, tu pourrais tenter son court roman " Hier ".
9 Annie Le 06/03/2018
10 Marilyne Le 18/03/2018
11 Stéphanie PELERIN Le 24/03/2018