Pourquoi aurais-je survécu ? - Edith Bruck
- Rivages poche - 2022 -
- Traduction de l'italienn choix de textes et préface par René de Ceccaty -
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Edith Bruck, née Edith Steinschreiber dans une modeste famille juive en 1931 en Hongrie, a connu l'horreur des camps de concentration, déportée à Auschwitz l'année de ses 13 ans où elle perdra ses parents et un de ses frères. A sa libération, elle mène une vie errante à travers l'Europe durant laquelle elle exerce différents métiers pour survivre, tente de s'installer en Israël, rejoint ensuite l'Italie en 1954 où elle se sent enfin chez elle. Elle adopte la langue italienne, en rejet du hongrois, langue de la douleur et de l'horreur, traduisant les notes qu'elle prend depuis des années. Edith Bruck devient autrice, scénariste, poétesse. Elle relate ses expériences dans son livre dernier paru Le Pain Perdu ( en français aux éditions du Sous-Sol - janvier 2022 ) que présente Aifelle - ICI - et Nathalie - ICI -
Ce recueil est une anthologie, une sélection de poèmes à partir des différents recueils poétiques d'Edith Bruck ( dont le dernier paru en Italie en 2021 pour ses quatre-vingt dix ans ). Ce choix de poésies a été réalisé avec l'accord de la poétesse.
Comme l'écrit René de Ceccaty dans la préface, il s'agit d'une " autobiographie en vers ", elle accompagne et complète son oeuvre en prose plus " frontale ". Le recours poétique permet une expression en écho, en images, peut-être plus émotionnelle.
La poésie est un espace essentiel et fondateur pour Edith Bruck. Elle y fut sensible dès l'enfance. Comme pour Primo Levi, la poésie fut salvatrice dans la monstruosité des camps, comptant " sur sa mémoire, sa culture, sa sensibilité, sa tenacité intérieure pour ne pas sombrer dans l'avilissement bestial auquel les nazis voulaient la réduire, avec ses compagnes. Primo Levi [...] a décrit, dans un célèbre passage de Si c'est un homme sur Dante et le chant d'Ulysse ( le chant XXVI de l'Enfer ), lui aussi ce phénomène, cette ressource sur laquelle il fallait compter et où la poésie jouait son rôle de structuration et d'abstraction."
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Pourquoi aurais-je survécu
sinon pour représenter
les fautes, surtout
aux personnes proches ?
De tant de fautes qu'elles auront
une, la plus grande, sera
le regret
d'avoir fait du mal,
à moi qui ai tant supporté.
Avec moi qui suis différente
des autres et qui porte en moi
six millions de morts
qui parlent ma langue
qui demandent à l'homme de se souvenir
à l'homme qui a si peu de mémoire.
Pourquoi aurais-je survécu
sinon pour témoigner
avec toute ma vie
avec chacun de mes gestes
avec chacune de mes paroles
avec chacun de mes regards.
Et quand se terminera
cette mission ?
Je suis lasse de ma
présence accusatrice,
le passé est une arme
à double tranchant
et je perds tout mon sang.
Quand viendra mon heure
je laisserai en héritage
peut-être un écho à l'homme
qui oublie et continue et recommence...
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S'ils n'étaient pas morts
je croirais qu'ils n'ont jamais existé
la chose la plus vivante
est leur fin
qui assombrit
la mémoire
du beau
qui devait tout de même exister
puisque j'étais leur fille
et qu'eux étaient mes parents.
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Amie avec Primo Levi, Edith Bruck lui adresse ce poème après son suicide en 1987 à Turin :
Une promenade avec Primo Levi
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Pour toi si piémontais
pour tes pas presque de clandestin
pour tes yeux éblouis par tant de lumière
comme du prisonnier qui vient d'être libéré
Rome était une ville trop ensoleillée.
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" Il y a une atmosphère de vacances, de fête, de marché ",
me disais-tu, de tes lèvres serrées et incrédules,
jetant un regard scrutateur et furtif
sur les vitrines tentatrices que tu t'interdisais,
pourquoi Primo ?
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La normalité désirée
ne nous est plus possible
dans la maison, dans la rue, avec les amis,
les épouses, les maris, les amants -
une existence a été marquée
qui peut finir aussi au pied d'un escalier
comme la tienne, quand tu as cédé
au clin d'oeil du vieux malin
nous appauvrissant nous et tes innombrables lecteurs,
pourquoi Primo ?
.
Ta figure tutélaire nous manque,
nécessaire comme l'eau à l'assoiffé,
la prière au croyant,
la lumière au non-voyant.
Notre devoir est
de vivre et jamais de mourir !
Pourquoi Primo ?
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- photographie personnelle -
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De Primo Levi sur le blog : son recueil poétique A une heure incertaine ainsi que la retranscription de l'entretien Le devoir de mémoire, indispensable complément à la lecture de Si c'est un homme.
- Les sculptures sont de l'artiste Marc Petit. Son site ICI -
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- Participation aux lectures autour de l'Holocauste -
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- Pour ce rendez-vous poétique Anne vous propose des vers de Roberto Juarroz -
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Commentaires
1 Aifelle Le 01/02/2023
marilire Le 01/02/2023
2 keisha Le 01/02/2023
marilire Le 01/02/2023
3 nathalie Le 01/02/2023
Et j'ajoute les liens de tout le monde.
marilire Le 01/02/2023
4 Dominique Le 01/02/2023
marilire Le 01/02/2023
5 Ingannmic Le 01/02/2023
J'ai lu Le pain perdu (billet demain).
marilire Le 02/02/2023
6 Passage à l'Est! Le 01/02/2023
Les sculptures sont également très belles, douloureuses mais évocatrices. Tu t'intéresses depuis longtemps à ce sculpteur?
marilire Le 02/02/2023
7 A_girl_from_earth Le 02/02/2023
marilire Le 02/02/2023
8 Anne Le 05/02/2023
marilire Le 07/02/2023
9 Patrice Le 08/02/2023
10 Bonheur du Jour Le 09/02/2023
11 Tania Le 19/02/2023