Ceija Stojka
- Fage éditions - 2018 -
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Ce livre est le catalogue d'une exposition qui fut consacrée à Ceija Stojka, à Paris, en 2018. Le sous-titre est éloquent : Une artiste rom dans le siècle.
Ceija Stojka est née en Autriche en 1933. Elle a été raflée avec sa mère dans la région de Vienne, puis déportée, elle avait 10 ans. Ceija Stojka a survécu à trois camps de concentration : Auschwitz ( mars-juin 1944 ), Ravensbrück ( juin-décembre 1944 ), Bergen-Belsen ( janvier-15 avril 1945 ). Son père meurt à Dachau.
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Ce catalogue présente ses oeuvres en témoignage, il présente également des parties documentaires sur la situation de la population rom, expliquant notamment pourquoi il existe si peu de témoignages du Samudaripen - l'holocauste rom -. C'est culturel : d'abord la tradition orale, ensuite la discrétion, une loi du silence.
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Ceija Stojka a attendu plus de 40 ans pour raconter. Ce choix est exceptionnel, elle est la première femme rom à raconter l'horreur des camps. Ceija Stojka est totalement autodidacte, quasiment illétrée ( libérée alors qu'elle avait 12 ans, elle a peu fréquenté l'école, elle écrit majoritairement phonétiquement. On a retrouvé dans ses carnets des listes de mots allemands recopiés pour en apprendre l'orthographe ), pourtant elle décide à 55 ans, inquiète du racisme qui se développe en Autriche, inquiète de l'oubli qui guette, de montrer la réalité du génocide. Elle écrit, elle dessine, peint - principalement de l'acrilyque sur carton, mais aussi encres et gouache -. Elle mêle images et mots, à la façon d'un long journal. C'est l'enfance qui crie, chante et pleure sur les pages.
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Ceija Stojka ne se préoccupe pas de rigueur documentaire, de techniques, de réalisme, de linéarité chronologique. Elle livre par le dessin et les phrases les souvenirs de sa mémoire hantée de fantômes, de visions traumatiques. Ce sont des séquences, une mémoire du coeur et du corps; une oeuvre pure expression. Elle raconte, avant, pendant, après. Elle en accepte la diffusion, et des photographies, comme celle-ci, le tatouage apparent sur son bras que l'on retrouve sur des dessins : Z6399
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Il y a des dessins aux traits noirs et il y a les peintures. Son usage de la couleur est incroyable. Ceija ne respecte pas des codes convenus, elle utilise des couleurs franches, des couleurs chaudes pour des scènes terribles. Ses couleurs apportent toute la vie sur ses toiles qui disent la destructions et la mort.
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Ceija Stojka devient militante, un symbole. Elle se consacre à ce témoignage jusqu'à son décès en 2013, nous laissant plus d'un millier de pages. Sur ses pages, on lit aussi des poésies. Certains de ses poèmes ont été traduits ( respectant les formulations autodidactes ) et publiés aux éditions Doucey lors de l'exposition à la Maison Rouge ( fondation d'art contemporain, dont la fermeture a été reportée pour cette exposition, en 2018 ).
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Auschwitz 1944
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Quelle bousculade
Il nous faut avancer
Mais nous ne devons
Pas perdre
Nos enfants
ça sera bientôt terminé
Vous allez voir
Et de l'autre côté ce sera beau
Oui mes enfants
ça y est
Venez à moi
Car sur la cheminée
Il y a encore de la place
Et regardez les pauvres en bas
Qui s'échinent à vivre
Et nous disent pauvres âmes.
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- Traduit de l'allemand ( Autriche ) par François Mathieu - Edition bilingue -
Dans ce recueil, comme pour l'oeuvre picturale, il n'y a pas que les camps, il y a la vie des Rom, la vie simplement, l'enfance, l'amour, les enfants, et cette notion de minorité :
Ils nous qualifient de minorité
et en plus en sont fiers
Eux-mêmes se qualifient aussi de minorités
ce qui leur permet de mieux savoir agir
avec des gens
qu'ils ont entraînés
dans la minorité
Selon cette dénomination
ils sont la meule
des temps modernes
Administrations établies tous les bureaux
reportages télévisés bouleversent
les civilisations développées ne l'ont pas facile
quand elles instruisent la minorité
sur la société humaine
C'est comme ça qu'elles savent
à qui elles ont à faire
Quand en ces temps
des enfants viennent au monde
Ils ont déjà un nom
Minorité
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Il existe une version jeunesse de ce recueil, intitulé Le tournesol est la fleur des Rom
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Le tournesol est la fleur du Rom.
Elle le nourrit, elle est la vie.
Et les femmes se parent de lui.
Il a la couleur du soleil.
Enfants, au printemps nous avons mangé ses feuilles
Jaunes délicates et à l'automne ses pépins.
Il était important pour le Rom.
Plus important que la rose,
Parce que la rose nous fait pleurer.
Le tournesol, lui, nous fait rire.
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Aux éditions Fage, il y a également ce petit livre de la collection Paroles d'artiste. Comme l'indique le titre, l'opus présente à chaque double page une oeuvre en regard d'un extrait de textes de l'artiste ( livre, entretien, correspondance ).
"Si le monde ne change pas maintenant, si le monde n'ouvre pas ses portes et fenêtres, s'il ne construit pas la paix - une paix véritable - de sorte que mes arrière-petits-enfants aient une chance de vivre dans ce monde, alors je suis incapable d'expliquer pourquoi j'ai survécu à Auschwitz, Bergen-Belsen et Ravensbrück."
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Lorsque j'ai découvert Ceija Stojka et son oeuvre, j'ai longuement pensé à ma lecture du magnifique roman de Laurence Vilaine Le silence ne sera qu'un souvenir - ICI - ( maintenant publié en Babel ).
A propos d'expositions :
- Au Mahj ( musée d'art et d'histoire du judaïsme ) du 26 janvier au 23 juillet 2023 : " Tu te souviendras de moi " Paroles et dessins des enfants de la maison d'Izieu, 1943-1944 ICI -
- Parmi celles présentées au Mémorial de la Shoah : Spirou dans la tourmente de la Shoah jusqu'au 30 août 2023, avec des oeuvres de Felix Nussbaum, peintre expressionniste, juif allemand caché avec son épouse en Belgique. Ils sont dénoncés, déportés, assassinés en 1944 - ICI -
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- Participation aux lectures communes autour de l'Holocauste - Participation aux lectures sur les minorités avec Ingannmic -
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Commentaires
1 nathalie Le 27/01/2023
marilire Le 27/01/2023
2 Kathel Le 27/01/2023
Les couleurs et les compositions de ses peintures sont remarquables.
marilire Le 27/01/2023
3 Aifelle Le 27/01/2023
marilire Le 27/01/2023
4 Ingannmic Le 27/01/2023
marilire Le 27/01/2023
5 Ingannmic Le 27/01/2023
6 doudoumatous Le 27/01/2023
marilire Le 27/01/2023
7 A_girl_from_earth Le 27/01/2023
marilire Le 28/01/2023
8 Anne Le 28/01/2023
marilire Le 29/01/2023
9 Passage à l'Est! Le 28/01/2023
Merci beaucoup pour cette contribution qui non seulement et comme à ton habitude nous propose une approche artistique, mais est la première (sauf erreur) depuis le début de nos lectures autour de l'Holocauste à évoquer les Rom. Cela me fait d'ailleurs penser que je ne me souviens pas avoir lu de récits de déportés juifs évoquant des déportés roms.
J'ai l'impression en te lisant que Ceija Stojka part du même probleme qu'Aharon Appelfeld: comment transmettre quand on n'a pas (ou pas eu) l'éducation qui permet de mettre les maux en mots?
Et merci pour le lien vers le livre de Laurence Vilaine, que je ne connaissais pas du tout.
marilire Le 29/01/2023
10 Agnès Le 30/01/2023
marilire Le 30/01/2023
11 keisha Le 01/02/2023
marilire Le 01/02/2023