Le noeud de vipères - F.Mauriac
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« Non, ce n’était pas l’argent que cet avare chérissait, ce n’était pas de vengeance que ce furieux avait faim. L’objet véritable de son amour, vous le connaîtrez si vous avez la force et le courage d’entendre cet homme jusqu’au dernier aveu que la mort interrompt...» - François Mauriac -
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Relecture tardive, mon exemplaire date de 1989. Je gardais peu de souvenir de cette lecture, Thérèse Desqueyroux m'ayant plus marquée. Je ne regrette pas cette relecture, j'ai dévoré ce roman, impressionnée par les fulgurances de la plume, par le propos.
Le nœud de vipères, c’est ce qui étouffe le cœur du narrateur dévoré de rancœurs et rancunes, c’est sa façon de percevoir le monde, les autres, son entourage.
Ce roman se présente comme une lettre, une longue lettre qui devient journal, qui est une confession. Le narrateur, avocat bordelais fortuné âgé de 68 ans, malade du cœur, se prépare à la mort. Et justement, il veut dire/ écrire ce qu’il a sur le cœur, exprimer sa haine de la meute familiale, son épouse, ses enfants et petits-enfants; cette haine qui l’empoisonne. Sur les pages, sous le cynisme de ce vieux Faust se lit la colère, l’amertume, sa solitude. Ces lignes dessinent son histoire, sa version, sa souffrance de ces années désertes. Pour cette famille traditionnelle, il est l’avare secret, mauvais, égoïste, celui dont on attend le décès pour hériter, en espérant hériter. Et il est l’athée aussi. Par sa fortune, le vieil homme les tient, il croit tenir également sa vengeance en trompant leurs espérances d’héritage.
La plume est précise et perspicace quant aux relations et interactions entre les membres de cette famille, particulièrement pour celles du couple et celles liées à la maternité. Les sentiments et la lucidité du vieil homme face à sa paternité frustrée - blessé - m’a frappée, cette lucidité affreuse.
Ce roman est violent, notamment par tous ces silences, durant des années, que l’on devine, lourds, pesants, ressassés; par l’inavoué. Et pourtant c’est une histoire d’amour, d’amours manqués, disparus, incompris; c’est l’histoire de ce vide dans le cœur, enfoui si profondément, de cette aspiration absolue. Cette violence est bouleversante. Cet homme, dès sa jeunesse, s’est tant protégé, défendu, armé, qu’il est resté prisonnier de son armure. Il s’est attaché à être fort, puissant, à rejeter ce qui pourrait le blesser. Et il a cherché à blesser, l’attaque étant la meilleure défense. Est-ce bien lui qu’il défend lorsqu’il attaque la religiosité de son épouse. Ses remarques acerbes et ses provocations témoignent de son aspiration. Ce qu’il reproche, ce n’est pas la religion, la foi, le message du Christ, ce qu’il dénonce c’est cette pratique de convenance et conventions, sans innocence et sans âme, de la religion.
« Alors que ses deux aînés s’installaient déjà dans les croyances que tu pratiquais, avec cet instinct bourgeois du confort qui leur ferait, plus tard, écarter toutes les vertus héroïques, toute la sublime folie chrétienne, il y avait au contraire, chez Marie, une ferveur touchante, une tendresse de cœur...»
« Bien loin d’attaquer de front tes croyances, je m’acharnais, dans les moindres circonstances, à te mettre en contradiction avec ta foi. Ma pauvre Isa, aussi bonne chrétienne que tu fusses, avoue que j’avais beau jeu. Que charité soit synonyme d’amour, tu l’avais oublié, si tu l’avais jamais su. Sous ce nom, tu englobais un certain nombre de devoirs envers les pauvres dont tu t’acquittais avec scrupule, en vue de ton éternité.»
Les réflexions sont extrêmement justes par ce regard distant. Pour autant, le rythme du récit est soutenu, les événements s’enchaînent entre passé et présent. Je l’ai dévoré. J’y ai également apprécié son ancrage dans son époque - fin XIXème jusqu’aux années 30 - par les allusions au contexte historique, l’évolution sociale, économique et politique, avec notamment l’affaire Dreyfus, la Première Guerre Mondiale, Montparnasse.
Avec l’apaisement, sur les dernières pages, viennent les descriptions, le regard et le cœur s’ouvrent enfin.
« La lumière du couchant se frayait un difficile chemin jusqu’à ce monde enseveli. Je sentais, je voyais, je touchais mon crime. Il ne tenait pas tout entier dans ce hideux nid de vipères : haine de mes enfants, désir de vengeance, amour de l’argent; mais dans mon refus de chercher au-delà de ces vipères emmêlées. Je m’en étais tenu à ce nœud immonde comme s’il eût été mon cœur même, - comme si les battements de ce cœur s’étaient confondus avec ces reptiles grouillants. [...] Mais aujourd’hui, je suis un vieillard au cœur trop lent, et je regarde le dernier automne de ma vie endormir la vigne, l’engourdir de fumées et de rayons. Ceux que je devais aimer sont morts; morts ceux qui auraient pu m’aimer.»
Magnifique roman.
Je garde un souvenir plus fort du roman Thérèse Desqueyroux, lu à la même lointaine époque, pas du récit en lui-même mais de l’impression qu’il m’avait laissé. Peut-être vais-je risquer une relecture. Et je lirai bien Le mystère Frontenac.
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- Lecture de Mauriac avec Ingammnic, Keisha, Nathalie, Anne, Passage à L'Est -
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Commentaires
1 Aifelle Le 15/01/2023
marilire Le 15/01/2023
2 keisha Le 15/01/2023
marilire Le 15/01/2023
3 nathalie Le 15/01/2023
Mon billet sur Thérèse paraîtra mardi.
marilire Le 15/01/2023
4 Ingannmic Le 15/01/2023
Je crois que c'est l'un des titres qui s'inspire le plus de sa propre vie. Lorsque nous avions organisé une activité autour de cet auteur, avec Athalie, je m'étais interrogée sur le propre rapport de Mauriac à sa mère, vu les portraits cinglants et terribles qu'il fait des mères dans nombre de ses romans. Du coup, j'avais lu le récit de d'Anne Duprez sur Claire Mauriac, qui s'y révèle une mère aimante et solide.. et j'avais mieux compris Le mystère Frontenac (mais toujours pas ceux qui mettent en scène d'horribles marâtres !).
marilire Le 15/01/2023
5 Anne Le 15/01/2023
marilire Le 15/01/2023
6 Passage à l'Est! Le 16/01/2023
marilire Le 17/01/2023
7 A_girl_from_earth Le 16/01/2023
marilire Le 17/01/2023
8 Tania Le 20/01/2023