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- Une forêt d'arbres creux - Antoine Choplin
Une forêt d'arbres creux - Antoine Choplin
- La fosse aux ours 2015 -
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Terezin, République Tchèque, décembre 1941. Bedrich arrive dans la ville-ghetto avec femme et enfant. Il intègre le bureau des dessins. Il faut essayer de trouver chaque matin un peu de satisfaction en attrapant un crayon, jouir de la lumière sur sa table à dessin, pour enfin s'échapper du dortoir étouffant, oublier la faim, la fatigue et l'angoisse. Chaque jour se succèdent commandes obligatoires, plans, aménagements de bâtiments. Chaque nuit, le groupe se retrouve, crayon en main, mais en cachette cette fois. Il s'agit de représenter la réalité de Terezin sans consigne d'aucune sorte. Et alors surgissent sur les feuilles visages hallucinés, caricatures. Tout est capté et mémorisé la nuit puis dissimulé précieusement derrière cette latte de bois du bureau des dessins.
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Cette quatrième de couverture raconte l'histoire et l'Histoire, à travers le destin tragique du dessinateur tchèque Bedrich Fritta ( 1906 - 1944 ).
Lire Antoine Choplin, c'est lire son écriture singulière, une écriture d'images suggestives, son regard porté au coeur de l'humain. Ce texte d'une centaine de pages, presque une nouvelle, ne fait pas défaut. La narration est aussi distanciée des évènements extérieurs que profondément intime, sans appuyer. C'est à dire que l'écriture, comme dans son roman Le Héron de Guernica, épouse l'art des personnages.
" Le dessin et son sujet se mêlent comme mer et ciel aux horizons d'hivers "
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- Bedrich Fritta - Leben und Tod auf den Hof -
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La distance dans les descriptions des scènes, c'est cette déshumanisation, le vide de la vie, un blanc pour tous ces violents traits noirs. Des " ils " et " hommes en uniformes ", ne pas explicitement dire, ne pas commenter, décrire. Si peu de couleurs, peu de sons - des sanglots, des chants - peu de paroles. Toujours des images. Des passages splendides qui éclatent devant les yeux. Ce texte, c'est un aplat et Antoine Choplin y dessine des perspectives, y décrit le regard de l'artiste, derrière son art. Elles sont belles, sans aucun doute, ces scènes isolées. Elles pourraient presque se suffire à elles-mêmes pour dire Terezin. Comme chacun des dessins. Les titres des chapitres, comme des titres de tableaux, désignant un espace, un regard. Alors, ce récit ne m'a pas semblé tenir ses promesses de fond. L'histoire en prétexte, esquisse narrative.
Le sujet est particulièrement difficile. Si j'ai apprécié la qualité évidente de cette lecture, l'aigu de la plume, ce talent de mêler l'art à l'écriture, il m'a manqué ce murmure éloquent tout en retenu, cette générosité du récit, le vibrant suspendu, la force et l'émotion saisies dans Le héron de Guernica et La nuit tombée, la force de l'émotion.
Pas franchement déçue - si ce n'est par les dernières pages d'épilogue qui s'appliquent sans la finesse d'estampe narrative si évocatrice que je connais d'Antoine Choplin à nous dire ce que devient chacun des personnages au terme des années de camps nazis - plutôt frustrée.
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Moi qui aime tant les arbres, ce titre symbolique dès les premières pages :
" Juste derrière les deux ormes passe la clôture de fils de fer barbelés, quatre ou cinq lignes noires et parallèles rythmées par les poteaux équidistants. Drôle de portée avec ses barres de mesure, vide de toute mélodie, et contre laquelle, à bien y regarder, semble se disloquer la promesse des choses. Car à l'oeil englobant de Bedrich, les deux arbres naguère palpitants et qui le renvoyaient à la fratrie des arbres du monde, lui apparaissent maintenant, par le seul fait de ces barbelés, comme un leurre. Au mieux, ils s'évanouissent en tant qu'arbres pour n'être plus que créatures incertaines, soumises à plus fort qu'elles-mêmes. Pour peu, ils ne seraient bientôt plus qu'une illusion de la perception, jetés en irréalité par le trait de la clôture.
[...]
Les forêts portent les espoirs, il se dit. Elles ne trompent pas. On n'a jamais rapporté le cas d'une forêt d'arbres creux, n'est-ce pas. "
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Commentaires
1 Asphodèle Le 08/09/2015
2 Aifelle Le 08/09/2015
3 martine Le 08/09/2015
4 Anne Le 08/09/2015
5 Lili Le 08/09/2015
6 Valérie Le 08/09/2015
7 Marilyne Le 08/09/2015
@ Aifelle : j'espère bien que tu vas le lire, parce que j'attends impatiemment ta lecture ! ( comme celle de Kathel :))
8 Marilyne Le 08/09/2015
@ Anne : non, je te conseillerai, pour le rencontrer, " Le héron de Guernica ".
@ Lili : et cette attirance est justifiée !
@ Valérie : oui, ce petit quelque chose que l'écriture n'a pas aussi porté cette fois. Merci pour le lien.
9 Dominique Le 09/09/2015
10 Kathel Le 09/09/2015
11 Marilyne Le 09/09/2015
@ Kathel : j'attends ta lecture, j'attends, je suis patiente ;)
12 Moglug Le 11/09/2015
13 Marilyne Le 11/09/2015
14 Noukette Le 17/09/2015
15 Marilyne Le 19/09/2015
16 Mind The Gap Le 22/09/2015
J'ai retrouvé ton blog mais ton lien mis en commentaire chez moi ne fonctionne pas, je viens depuis chez Valérie, qui a aussi aimé ce livre mais moins que toi...
17 Marilyne Le 22/09/2015