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Le héron de Guernica - Antoine Choplin
- Editions du Rouergue - Collection La brune - 2011 -
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Guernica, avril 1937. Jeune peintre autodidacte, Basilio passe son temps dans les marais à observer des hérons cendrés. Ce n'est pas qu'il se sente extérieur au conflit, il a même cherché à s'enrôler dans l'armée républicaine. Mais tandis que les bombardiers allemands sillonnent déjà le ciel, il s'acharne à rendre par le pinceau le frémissement invisible de la vie, dans les plumes d'un de ces oiseaux hiératiques. Dans quelques heures, Guernica sera une ville en cendres, mais c'est un peintre autrement célèbre qui va en rendre compte, magistralement. L'un comme l'autre, pourtant, le petit peintre de hérons tout autant que le Picasso mondialement connu, nous interrogent sur les tragédies de la guerre et la nécessité de l'art pour en témoigner.
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Depuis longtemps, le désir de lire ce titre d'Antoine Choplin, avant même ma lecture de La nuit tombée. Si belle lecture à nouveau. J'y ai retrouvé la prose sobre, limpide, élégante malgré le choix de l'oralité, ce talent à donner à voir, et cette finesse du trait, des portraits, sous l'apparente simplicité, l'ampleur et la profondeur du regard qui se garde de commenter, d'interpréter mais qui cherche tant à percevoir, recevoir. La plume d'Antoine Choplin, je sais maintenant que c'est le pinceau de son Basilio. Toujours autant de silences que de mots et la densité des blancs.
Guernica 1937, la guerre d'Espagne et le bombardement des aviations nazie et fasciste. Ce roman d'Antoine Choplin s'attache aux pas de Basilio sur un temps resserré, une soirée, la journée; Basilio avec qui on regarde et on écoute sur une narration à la fois elliptique et patiente, attentive, sur des scènes véritablement mises en scène par l'écriture au sens théâtral sans la connotation d'excès, d'effets. Le petit monde de la ville, les soldats, les échos du conflit et de l'exode des habitants devant les rumeurs d'attaques; l'agitation de cette vie et cette ville espagnoles puis les pages de temps infini face au héron cendré dans le marais de la Mundaca. Là où un " gentil garçon ", " un peintre de village ", tente de capter l'essence de la vie, ce frémissement invisible selon l’expression de l’auteur reprise en quatrième de couverture. Ce roman, ce sont ces moments intenses entre le peintre et le héron auquel nous sommes suspendus face à l’horreur historique évoquée en perspective.
Perspective et alternative, c'est exactement ça, le ressenti à la lecture. Il a quelque chose de vibrant et de frissonnant dans ce texte, de survivant, une gravité et une grâce, comme dans La nuit tombée, au-delà de la magistrale réflexion sur l'art, sur la mémoire et la vérité par l'image, qui peut être aussi photographie, avec " tout ce qui palpite sans figurer sur les images, ce qu'on éprouve avec force et qui se refuse à nos sens premiers. Et dont on voudrait tellement témoigner pourtant. "
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" Tu vas partir d'ici ?
Je sais pas.
Basilio saisit un tube de blanc, le presse au-dessus de sa palette. Du bout de sa brosse, il en attrape une petite partie qu'il mélange à d'autres couleurs. Après, il essaie quelques touches sur la feuille, remet encore un peu de blanc, essaie à nouveau.
C'est le plumage. Il me donne toujours de la peine.
C'est drôle quand même. Moi je parle de gars qui se font tuer pendant que toi, tu t'emmerdes à peindre le plumage d'un héron.
Je m'emmerde pas.
Un temps.
Quand même, il doit falloir une sacré patience, dit le soldat.
Faut surtout avoir très envie de regarder, dit Basilio. De bien regarder les choses. Le héron, ce qu'on peut en voir, et ce qu'on ne peut pas. Aussi, tout ce qui l'entoure. Tout ce qu'il y a dans l'air qu'on respire, le héron, toi et moi. C'est surtout cette envie là qu'il faut.
Chut, fait soudain le soldat.
Basilio s'arrête de peindre, le dévisage sans comprendre.
Tu entends ?
Ils tendent l'oreille.
Oui, je crois. ça vient du pont, on dirait. Cache-toi.
Ils restent figés tous les deux.
Je crois que c'est passé, chuchote le soldat. Ce doit être la circulation sur le pont. Ceux qui partent vers Bilbao. Il vaut mieux que je m'en aille.
Tu as un endroit où aller ?
J'aimerais rentrer chez moi.
C'est où ?
C'est loin. C'est aussi pour ça que j'aimerai y aller. Pour foutre le camp d'ici. Parce que moi, c'est pas comme toi. J'ai pas envie de regarder les choses et le monde autour, pas plus les hérons que tout ce foutoir qu'il y a partout. Si je pouvais ne plus rien regarder du tout.
Et le soldat commence à s'éloigner, en direction de la rivière.
Alors bonne chance, lui dit doucement Basilio.
Le soldat ne répond pas. "
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- Merci à Kathel par qui j'ai découvert cet auteur -
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Commentaires
1 Hélène Le 26/05/2014
2 Kathel Le 26/05/2014
3 Anne Le 26/05/2014
4 Noukette Le 26/05/2014
5 Marilyne Le 27/05/2014
@ Kathel : cette comparaison m'a frappée quand je cherchais les mots pour l'écriture d'Antoine Choplin, tant de correspondances pour l'exprimer.
@ Anne : oh que oui ! ( et pas étonnée qu'il soit déjà dans la pile ^^ )
@ Noukette : et pourquoi pas ? ( j'ai tardé à me l'offrir mais j'en ai commencé la lecture dès que je l'ai eu entre les mains :) )
6 Valérie Le 28/05/2014
7 Marilyne Le 28/05/2014
8 Liliba Le 29/05/2014
9 Marilyne Le 30/05/2014
10 Theoma Le 02/06/2014
11 Marilyne Le 02/06/2014
12 Praline Le 24/06/2014
13 Marilyne Le 26/06/2014