L'art en nouvelles
Pour le thème de l'art dans la littérature pour ce rendez-vous du mois de juin des Classiques, c'est fantastique, il m' a été très compliqué de choisir, tant ce thème m'interesse ( ça me change de mes lectures non-fiction histoire de l'art :)), voici d'abord quelques lectures courtes ( puisque, en fait, j'ai refusé de choisir ).
Commençons avec Un cabinet d'amateur de Georges Pérec :
Ce récit de Pérec est réjouissant pour qui s’intéresse au milieu de l’art, à l’histoire des œuvres et des collections.
Le texte s’ouvre sur une longue citation du Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne, un extrait de la découverte du Nautilus, des trésors du capitaine Nemo :
« Je vis là des toiles de la plus haute valeur, et que, pour la plupart, j’avais admirées dans les collections particulières de l’Europe et aux expositions de peintures.»
Le ton est donné. Ce récit est un pastiche relatant la découverte d’une collection, son histoire. Le style est journalistique, précis, professionnel même pour raconter « la généalogie des œuvres « et les décrire ( création, commande, propriétaires, authentification, écoles artistiques, variation de thèmes... ); il est aussi évidemment à l’humour, entre dérision et ironie ( la reproduction des critiques des œuvres sont aussi excellentes, j’avoue, j’ai pouffé de rire )
- « Dans la section Natures mortes, nous avons pu admirer La théière sur la table de Garten, dont la palette maîtrise admirablement les nuances du bleu, un Compotier de très haute tenue dû au pinceau du regretté Sigmund Becker, et L’Etabli, de James Zapfen, qui semble avoir réussi à tempérer d’une secrète tendresse son réalisme un peu lourd...»
- « Les journaux de Pittsburgh parlèrent beaucoup moins des tableaux et des artistes que des personnalités présentes le jour du vernissage.»
Cette nouvelle raconte donc la collection d’Hermann Raffke, riche propriétaire des brasseries Raffke. Américain né en Allemagne, self-made-man, il prête cette collection pour des manifestations organisées en 1913 par la communauté allemande de Pittsburgh à l’occasion des vingt-cinq ans de règne de l’empereur Guillaume II. Parmi toutes les propositions du programme, une exposition de peintures où est présentée pour la première fois une grande toile ( environ 3mx2m ) d’un jeune artiste américain d’origine allemande - Heinrich Kürz -, toile commandée par Hermann Raffke, intitulée Un cabinet d’amateur. Cette toile représente monsieur Hermann installé dans un fauteuil dans la pièce où est réunie sa collection de peintures - « plus de cent tableaux sont rassemblés sur cette seule toile » -
Ainsi Pérec, comme le peintre, joue de la mise en abîme, le récit d’un tableau, des tableaux dans le tableaux, etc... A tel point qu’il nous raconte que durant cette exposition, les visiteurs voyaient Le Cabinet d’amateur ainsi que les œuvres originales visibles sur la toile dans le même espace.
Ce récit est un jeu de miroir, c’est le jeu de l’art miroir et des apparences ( sur la valeur d’une œuvre - signature - origine - propriétaires - expositions ) ainsi que le thème de l’art reflet qui traversent tout ce récit, les mettant en pratique en littérature.
Ce pastiche est réussi, incroyable de véracité - de fond comme de forme -, de détails. Au fil des pages, connaissant l’auteur, je m’interdisais d’aller vérifier l’existence des toiles, les descriptions, les anecdotes sur l’artiste ou l’un des propriétaires ( mais où l’on ne peut s’empêcher de se demander si, comme dit l’adage, la réalité ne dépasse pas la fiction ), croisant les écoles françaises, flamandes, italiennes, hollandaises, avec les noms de Degas, Delacroix, Renoir, Boilly, Cranach, Hals, Klimt, Tiepolo, Longui... Sur la centaine de toiles, certains peintres sont donc réels, pas la majorité des toiles.
Bien que j’ai adoré cette lecture, je n’en écris pas plus, je vous laisse la surprise ultime.
Un récit ludique d’anthologie, de l'art du copiste et du faussaire.
Le cabinet d'amateur est un genre pictural véritable, pas une invention de Pérec :
- Le Cabinet d'amateur de Cornélius van der Geest lors de la visite des Archiducs Albert et Isabelle. - Willem von Haecht - ( cité par Pérec ) -
A propos de reproductions-copies de toiles, j’ai pensé à la collection de BD publiée par le musée du Louvre en partenariat avec les éditions Futuropolis, qui, chacune raconte le musée. Dans les albums, certaines œuvres sont reproduites de façon réalistes, parfaitement reconnaissables, comme dans Le ciel au dessus du Louvre de Yslaire & Carrère ( relatant la transformation du palais en musée ) - je n'avais pas présenté cette BD, mais plus tard j'ai chroniqué celle de Christian Lax Une maternité rouge ICI -
.
Je ne résiste pas à vous proposer ensuite « une œuvre étrange, edgar-poësque, qui n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre.» ( extrait d’une critique du Cabinet d’amateur d’Hermann Raffke ;)) :
Le portrait ovale de Edgar Poe
Dans cette courte histoire fantastique des Nouvelles histoires extraordinaires ( traduction de Charles Baudelaire ), nous retrouvons le thème de la peinture-miroir.
Lors d’une halte imprévue de nuit dans un vieux château, le narrateur est interpellé par l’une des toiles qui couvrent les murs de sa chambre, le portrait saisissant d’une jeune femme éblouissante de beauté, mariée à un peintre - « ayant déjà trouvé une épouse dans son Art » - . Dans un petit volume placé sur l’oreiller, il lit les circonstances de création de cette peinture.
« Comme œuvre d’art, on ne pouvait rien trouver de plus admirable que la peinture elle-même. Mais il se peut bien que ce ne fût ni l’exécution de l’œuvre, ni l’immortelle beauté de la physionomie qui m’impressionna si soudainement et si fortement. [...] J’avais deviné que le charme de la peinture était une expression vitale absolument adéquate à la vie elle-même...»
( sinon, dans La chute de la maison Usher, Roderick Usher est peintre et musicien : « Si jamais mortel peignit une idée, ce mortel fut Roderick Usher. Pour moi, du moins, - dans les circonstances qui m’entouraient - il s’élevait, des pures abstractions que l’hypocondriaque s’ingéniait à jeter sur sa toile, une terreur intense, irrésistible, dont je n’ai jamais senti l’ombre dans la contemplation des rêveries de Fuseli lui-même, éclatantes sans doute, mais encore trop concrètes. ». Mais bon, d’accord, l’art n’est pas le sujet de cette nouvelle ).
.
- Le cauchemar - John Henry Fuseli -
.
Je vous propose enfin « (ce) portrait d’un symbolisme subtil dont l’inspiration hautement métaphysique remet très certainement en cause beaucoup d’idées trop communément admises sur ce qu’est le Beau dans l’Art.» ( encore Pérec - extrait d’une critique du Cabinet d’amateur d’Hermann Raffke - je m’amuse beaucoup avec ce thème )
Le menteur d’Henry James
Dans ce récit, l’auteur naturalisé anglais nous parle de l’art du portrait en nous racontant une histoire d’amour ( ou plutôt deux histoires d’amour, c’est-à-dire un triangle amoureux ).
Le narrateur est un peintre renommé - Olivier Lyon - appelé dans un manoir pour réaliser le portrait du propriétaire, Sir David Ashmore, nonagénaire, à la demande de son fils Arthur. Il y rejoint une vingtaine d’invités parmi lesquelles Everina, un amour de jeunesse qui l’a éconduit. Durant ce séjour, Olivier Lyon apprend qu’elle est l’épouse du séduisant et fascinant colonel Capadose. Mais cet homme qui semble réunir tant de qualités est affecté de mythomanie. Sans chercher à nuire ou profiter, il ment, il affabule, en permanence.
« C’est de l’art pour l’art, et c’est l’amour du beau qui l’inspire. Il a une vision intérieure de ce qui aurait pu être, ou de ce qui devrait être, et il œuvre pour la bonne cause par la simple substitution d’une nuance à une autre. D’une certaine manière, il est peintre tout comme moi ! »
L’artiste, toujours amoureux, persuadé qu’il doit mettre Everina face à la vérité, entreprend de créer un portrait du mari qui dévoilerait sa personnalité, et répondrait à la question lancinante du peintre : l’épouse est-elle, par amour, au détriment de sa moralité, complice ?
« Le menteur» est le titre qu’envisage de donner le peintre à son tableau, une grande œuvre à proposer à un salon de peinture.
J’aurai aimé voir cette toile.
Cette nouvelle est intéressante sur le sujet - l’art révélateur - , la plume est fine sur la psychologie des personnages, ménageant quelques traits d’ironie.
« Arthur Ashmore était un gentleman anglais au teint frais et au cou épais, mais enfin, il ne constituait pas un sujet; il aurait pu être fermier, ou bien banquier : on aurait eu du mal à lui prêter un caractère en faisant son portrait. Son épouse ne compensait pas ce déficit; c’était une femme massive, brillante et négative qui, comme son mari, semblait pour ainsi dire flambant neuve; elle donnait l’impression d’être fraîchement vernie ( Lyon n’aurait pas su dire si cela provenait de son teint ou de ses vêtements ), de sorte qu’à la voir, on songeait qu’elle aurait dû poser dans un cadre doré, invitant à se référer à un catalogue ou à une liste de prix. C’était comme si elle était déjà un portrait plutôt mauvais mais coûteux, barbouillé par une main éminente, et Lyon n’avait aucune envie de copier cette œuvre.»
Psychologie est également le maître mot pour l’art de peindre des portraits, en mêlant à l’aspect physique, le caractère et l’histoire du modèle derrière « le masque humain » :
« le peintre mettait en pratique l’idée de la révélation expressive» pour « la représentation totale ».
.
Dans la catégorie baratineur :
.
- L'escamoteur - J.Bosh -
.
Sur ce thème de l'art en littérature, j'ai pensé Comment Wang-Fô fut sauvé de Marguerite Yourcenar, Le portrait de Dorian Gray de O.Wilde ( lus il y a si longtemps, ils auraient mérité une relecture pour le plaisir, pas chroniqués ), Gloire tardive de Arthur Schnitzler ( écriture ), La pianiste de Elfriede Jelinek, Le crépuscule des dieux de la steppe de Ismael Kadaré ( écriture ), Le chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, La bonne peinture de Marcel Aymé, Descendance de Adalbert Stifter.
Ces trois derniers titres concernent la peinture, comme mes deux prochaines publications ( deux romans ). D'autres idées de classiques sur la thématique artistique ? Sur d'autres arts ? ( je n'ai pas su dire si Le motif dans le tapis d'Henry James, récit autour de l'oeuvre d'un écrivain pouvait apparaître pour ce thème, il me semble que cette nouvelle concerne plutôt la lecture que l'écriture ).
*
Ajouter un commentaire
Commentaires
1 niki Le 27/06/2022
marilire Le 27/06/2022
2 Dominique Le 27/06/2022
marilire Le 28/06/2022
3 Anne Le 27/06/2022
marilire Le 28/06/2022
4 Passage à l'Est! Le 28/06/2022
Concernant Tokarczuk, on pourrait avancer la date (pour une fois!) et la mettre au 1 octobre. Qu'en dis-tu?
marilire Le 29/06/2022
5 A_girl_from_earth Le 28/06/2022
marilire Le 29/06/2022
6 maggie Le 28/06/2022
marilire Le 29/06/2022
7 keisha Le 29/06/2022
marilire Le 29/06/2022
8 PatiVore Le 30/06/2022
marilire Le 30/06/2022
9 Fanny Le 04/07/2022
La nouvelle d'Edgar Poe me tente particulièrement, ça fait longtemps que je ne l'ai plus lu.
marilire Le 05/07/2022
10 Tania Le 17/07/2022
Je ne sais si tu les classerais parmi les classiques, mais sur le thème de l'art, j'ai pensé à deux romans de Metin Arditi (Le Turquetto / L'homme qui peignait les âmes), à Orhan Pamuk (Mon nom est Rouge), à Jacqueline Harpman (La plage d'Ostende)... Sur la musique, Anna Enquist (Quatuor) et d'autres.
marilire Le 25/07/2022