Chez les ours - Jean Désy

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Je suis un trou de lemming

le cri d'une corneille

un labyrinthe de rochers coupants

une odeur de neige collée à de méandreux ruisseaux

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Je suis une moraine ancienne

un banc de neige fondu de rimayes

une vague de ciel en migration vers la taïga

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Je suis crevasse et yeux noirs

râle de fleuve à marée basse

solitude et trêves

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Je suis aussi pan de granit aux dents cassées

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Champignon et oxytrope

je suis sentier de castor

nénuphar et potamot

rivière qui sent le musc et la rosée

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Je suis d'écume intense

de rochers mille fois lavés et délavés

je suis mousse et chicot

ils sont à moi comme je suis à eux

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Je suis névé

indubitablement montagne

coulée nivale de glace et de fleurs

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Je suis vent froid

frétillement de potentille

roucoulement d'oiseau fou

tige de kalmia tapie contre les galets

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Je suis ce monde qui est en moi

autour de moi et fait de hauts stratus

volée d'azur en longue partance

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Puissamment moi-même

je suis les courants d'air du monde

partout et nulle part à la fois

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 Quand tu viendras chez moi

tu seras chez toi

les montagnes douces seront à toi

les nuages seront les tiens

et la neige 

toute la neige autour de la maison de bois

eh bien toute cette neige t'appartiendra

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Tu seras chez toi dans cette cabane où je ne serai pas

tu t'assoiras et tu liras

un livre ou deux ou trois peut-être

il n'y a que des livres dans cette cabane

qui est chez moi dans les montagnes

des pages et des pages pour raconter

les hommes les nuages les âmes

et dans ces livres tu seras chez toi

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Je serai heureux quand tu seras chez moi

dans ma maison de nomade toujours en quête

avec la lumière les orages les outardes clairvoyantes

tu te griseras de silence

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Et si tout à coup dans la nuit

tu entends un bramement

dis-toi que c'est peut-être moi

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Tu verras

je reviendrai

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 - Extraits de Chez les ours de Jean Désy - Editions Mémoire d'encrier 2012 -

Ce recueil poétique est une évocation-invocation au Nord. Ô Nord, comme l'écrit le poète en titre de son prologue en hommage à ces territoires. Au rythme des cinq " chapitres " s'ouvrant chacun sur une photographie de Isabelle Duval, les poèmes célèbrent la nature, faune et flore, l'intensité du sentiment de vie et d'harmonie qu'il ressent et éprouve pleinement dans les terres du Nord.

Avec " Chez les ours ", nous explorons la nordicité, arpentons la terre et les mythes fondateurs. L’auteur Jean Désy passe sa vie à voguer dans le monde de l’autochtonie. Sa poésie est expérience du voyage et usage du Nord. Puisque, « nous voyageons pour manger des fruits immortels. »

Nous voyageons pour apprendre à nommer les choses de la vie, pour agrandir en nous la nature, pour mêler nos corps au parfum des bois et de la glace, dans l’espace absolu. Pour invoquer la parole nue au fond des cabanes. " Chez les ours " nous embarque vers le Nord, empruntant le kayak ou la route, gardant en nous l’âme des coureurs de froid. Une plongée dans cette « nature dense et patiente », et nous voilà reliés à l’esprit du Nord, « là où jamais ne se termine ni la course ni la vie/ ni le rire ni la mort. »  

- Mémoire d'encrier -

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- Aquarelle de Jean Kazemirchuk, artiste peintre découvert en couverture du roman Rivière Mekistan de Lucie Lachapelle. Son site ICI. 

- Poétique québécoise avec Anne -

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