Que reviennent ceux qui sont loin - Pierre Adrian
- Gallimard - 2022 -
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" Je ne revins pas à la grande maison par hasard. On ne retourne jamais quelque part par hasard. Secrètes sans doute, j'avais mes raison après tant d'années de revoir la grand maison au mois d'août. Il y avait le temps qui passait et la certitude désormais que rien n'était éternel. Un jour viendrait où ce paysage, tel que je l'avais laissé enfant, n'existerait plus. [...] Longtemps j'avais préféré les pays lointains, des mers qui étaient plus chaudes et me semblaient plus belles. J'avais abandonné la grande maison, certain qu'elle serait là pour toujours. Elle n'avait pas besoin de moi. Elle m'attendrait de toute façon. Je sais désormais que c'est un mépris immature qui me faisait penser cela, ou bien l'orgueil des vingt ans. Car j'avais cru voir le monde."
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Pierre Adrian est un auteur que j'apprécie particulièrement. Je l'ai découvert jeune écrivain avec son récit La piste Pasolini qui m'avait convaincue de poursuivre la lecture. Le récit suivant Des âmes simples ne m'a pas déçue avec la joie d'une rencontre. J'étais donc très curieuse, bien que moins attirée par la thématique, par le roman paru pour la rentrée littéraire aux éditions Gallimard cette année Que reviennent ceux qui sont loin.
Le narrateur, trentenaire, revient. Il revient à sa famille, à son histoire, en retournant dans la maison familiale estivale, dans le Finistère, " entre le dernier bourg, le port et l'océan ", d'où l'on voit le phare de l'île Vierge. C'est le lieu et le temps des retrouvailles.
Pierre Adrian nous relate ces étés que nous (re)connaissons, même si l'on ne les a pas vécus : la famille éparpillée réunie autour de la fragile grand-mère veuve très âgée, tous les enfants ensemble, les longs repas, le rythme répétitif des jours. L'auteur s'attache aux moments, aux paysages également, aux émotions. La prose, sans miévrerie, est réaliste, inscrite dans ce quotidien familial, elle est perspicace. Car ce narrateur vit un paradoxe : il est heureux de son retour parmi les siens et ses souvenirs d'enfance et d'adolescence mais également observateur, à la fois consentant et distant.
" Il fallait aussi jouer le jeu du cercle familial, se soumettre aux rituels de la tribu. "
En cette année proustienne, notre narrateur perçoit la précarité de ce qu'il croyait intemporel. Les générations passent. Il n'est plus un fils mais un père sans enfant. La maison demeurera-t-elle dans la famille après le décès de la grand-mère qui les réunit ? A travers les enfants, leurs aventures, leurs expériences initiatiques, il s'interroge sur ce bonheur répétitif, sur ce " constitutif ", ces souvenirs et sentiments au goût de madeleine.
" Les enfants franchissent chaque été une étape importante de la vie. "
La maison, indispensable autant que négligée, est comme un symbole de granit de cette famille et pourtant le témoin de l'impermanence, des années et des générations qui passent. Elle est le souvenir partagé et transmis, les mêmes parfums, les mêmes fleurs vues d'une fenêtre, les mêmes lectures d'anciens livres de poche.
" A la grande maison, nous passions et ils restaient. Les objets étaient immortels. Rien n'avait bougé et c'était nous qui changions. La redécouverte des pièces de la maison ressemblait à la visite à un vieux parent. Des retrouvailles un peu forcées qui ne tiennent que par l'existence d'un commun passé. "
Que reviennent ceux qui sont loin est un roman nostalgique, en demi-teinte, triste et lumineux. Il porte bien son titre issu d'un extrait cité en ouverture de Le métier de vivre de Cesare Pavese.
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" Cet été-là, je revins avec un sentiment familier mais que j'identifiais seulement. Celui de renouer avec un bonheur certain. Chaque année se rejouaient ici les mystères d'une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d'abord la monotonie des jours qui se confondent. Et puis l'attente. Avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d'automne déjà. La fin. Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie. "
J'ai terminé cette lecture avec la superbe chanson de Jacques Brel Mon enfance en tête.
En lisant les descriptions de balades le long de ces côtes bretonnes, j'ai pensé à l'album d'Emmanuel Lepage paru en avril : L'île vierge - un phare dans les yeux :
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[ Pas de Carnet d'écriture pour ce week-end. Je reprends justement après mes déplacements. Promis, le week-end prochain. ]
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Commentaires
1 Autist Reading Le 09/12/2022
J'ai apprécié la nostalgie qui suinte de ses pages (plutôt assez étonnant de la part d'un jeune auteur, je trouve).
En revanche, je suis resté spectateur de cette famille et de leurs réunions dans la maison familiale, un univers qui m'est totalement étranger et qui n'a rien (r)éveillé chez moi.
marilire Le 09/12/2022
2 A_girl_from_earth Le 10/12/2022
marilire Le 10/12/2022
3 Anne Le 11/12/2022
marilire Le 11/12/2022
4 keisha Le 12/12/2022
Bon, à voir. La couverture de Lepage est fabuleuse
5 Ellettres Le 09/01/2023