Poussière dans le vent - L.Padura
- Métailié - 2021 -
- Traduit de l'espagnol ( Cuba ) par René Solis -
Elle arrive de New York, il vient de Cuba, ils s'aiment. Il lui montre une photo de groupe prise en 1989 dans le jardin de sa mère et elle y reconnaît la sienne, cette femme mystérieuse qui ne parle jamais de son passé. Ils vont chercher à comprendre le mystère de cette présence et les secrets enfouis de leurs parents...
.
Ce roman qui se déploie sur plus de 600 pages est un roman ambitieux, le grand roman de l'exil cubain.
Leonardo Padura nous raconte sa génération, celle née au début des années 60, celle qui a connu la vie sous l'idéologie communiste, celle qui a dû affronter la terrible crise des années 90 suite à la chute de l'URSS; la génération qui a subi l'évolution barbare économique, sociale, morale.
Ce roman tient à la fois de la saga, du reportage, du roman noir, du polar. A la façon d'un roman choral, il raconte la destinée de chacun des personnages issu d'un groupe d'amis qui se surnomme le Clan, réuni autour de Clara, dans sa maison familiale. Cette maison qu'elle a détestée plus jeune, qui devient son refuge, sa " coquille ", est le coeur du roman, en métaphore. Cette maison, c'est Cuba, lieu des souvenirs les plus heureux et les plus douloureux, de la jeunesse; lieu aimanté qui rappelle toujours, où l'on revient. Celles qui restent, les seules qui restent malgré les décompositions et désolations, Clara et la maison.
Sur les pages, nous retrouvons la verve romanesque de Leonardo Padura, son ton incisif, ironique, désenchanté, son sens de la formule, du suspense, et la finesse psychologique, son talent à suggérer les atmosphères. Avec pour thème cette diaspora cubaine, l'auteur nous raconte autant Cuba ( " un pays qui avait vécu une longue guerre sans coups de feu ") que les pays accidentaux " d'accueil " ( l'Espagne, les Etats-Unis, Porto Rico, la France ). Il s'attarde sur les motifs ( dans tous les sens du terme ) et les angoisses de cette diaspora en saga familiale, livrant une reflexion universelle sur l'exil, sur " ce que l'on gagne et ce que l'on perd "; sur cette condition " d'exilé, d'émigré, d'expatrié, de déserteur, d'apatride, d'invisible ".
" - Il s'en va ? - Irving murmura les trois syllabes, mais en lui elles résonnaient aussi fort qu'un cri. A Cuba, l'expression n'a qu'un sens définitif : il s'en va. "
L'auteur s'attache comme ses personnages à cette question générationnelle lancinante " Qu'est ce qui nous est arrivé ? " ( qui n'est pas sans rappeler les romans avec le récurrent Mario Conde, de cette génération également ). Ainsi sont filés les questionnements de ses balsero ( ceux qui ont quitté Cuba avec des embarcations de fortune ) sur les causes-conséquences, les actions-réactions. Un roman des origines.
Les sentiments de pertes et d'identité sont omniprésents. L'intrigue, déjà, est construite sur une quête identitaire - qui est aussi quête de sens, de transcendance -, celle d'Adela, jeune fille née sur le sol américain, celle de Loreta, sa mère, fugitive cubaine en recherche d'un " lieu à soi ", d'une plénitude. Léonardo Pardura s'attarde ainsi sur chaque personnage, en toute intimité, ne négligeant pas les personnages secondaires, inscrits, tous, dans un paysage et l'Histoire ( que ce soit Cuba, l'Europe, les Etats-Unis ).
En kaléidoscope, ce roman est également un hommage à l'amitié, aux liens qui, s'ils s'usent, s'ils sont malmenés par les intempéries, résistent.
" Il nous est tout arrivé, poursuivit Bernardo, refusant de baisser la voix, et sans qu'on nous demande la permission. Les rêves sont devenus aujourd'hui des insomnies ou des cauchemars. Il nous est arrivé que nous avons perdu. C'est le destin d'une génération, dit-il d'un ton sentencieux, et il reprit son verre d'une main qui tremblait déjà et le vida cul-sec. C'est notre destin, camarades, frères de combat : de défaite en défaite... jusqu'à la victoire finale ! "
La lecture est exigeante, par le nombre des personnages, les interactions, les voyages géographiques et temporels. Malgré cette densité, malgré les qualités évidentes de ce roman, j'avoue m'être un peu essouflée durant la lecture, comme un trop : trop de détails, de répétitions, de vulgarité souvent, de scènes de sexe. Cette lecture a été parfois laborieuse parce que trop explicite, appuyée. Il m'a parfois manqué un peu d'espace et de silence, un peu de tendresse et de pudeur pour me rapprocher des personnages, cette mélancolique tendresse et pudeur des romans avec Mario Conde. Je n'en ai pas entendu la petite musique sous les rafales nostalgiques. J'aurais préféré l'intensité à la densité. Peut-être est-ce pour cela que c'est par le personnage de Clara que l'émotion est venue - Sainte Clara des amis -, discrète naufragée sur son île, pourtant si bien entourée, même à distance.
Toutefois, le fracas de ce roman foisonnant, documentaire, est justifié, puissant, terriblement éloquent, magistral sur son sujet.
" Quel était son monde ? Où était-il ? Que lui était-il arrivé ? Ce qu'il parcourait à l'occasion de son retour constituait-il son monde ou passait-il seulement au travers d'un hologramme dégradé de l'endroit auquel il avait cru appartenir et qui, aujourd'hui, se révélait étranger, prêt à le rejeter ? Etait-il déjà, de façon irréversible, un homme coupé en deux moitiés déterminées à se repousser mutuellement, un homme dans la cinquantaine qui n'arrivait pas à retrouver sa place dans ce qui, durant trente-six ans, avait été son lieu, et qui ne se reconnaîtrait jamais complètement dans le territoire qui, depuis presque quinze ans, avait commencé à l'être sans jamais y réussir vraiment ? "
.
- Participation au Pavé de l'été avec Madame Brize -
- Pour une prochaine publication, une rencontre en librairie avec Leonardo Padura -
*
Ajouter un commentaire
Commentaires
1 Ingannmic Le 17/09/2021
marilire Le 19/09/2021
2 Dominique Le 17/09/2021
Ses romans sont excellents sauf quand il veut trop prouvé, il devient insistant et je le suis nettement moins sur ce chemin là
je n'ai pas été passionné par Hérétiques et je crois que celui là va être du même tonneau dommage
marilire Le 19/09/2021
3 Aifelle Le 17/09/2021
marilire Le 19/09/2021
4 A_girl_from_earth Le 18/09/2021
marilire Le 19/09/2021
5 Kathel Le 18/09/2021
marilire Le 19/09/2021
6 keisha Le 18/09/2021
marilire Le 19/09/2021
7 Brize Le 20/09/2021
marilire Le 23/09/2021
8 Bono Chamrousse Le 27/09/2021
Pour ma part ce livre a été un grand coup de cœur... peut-être parce que c'était le premier Padura que je lisais ? En tout cas, il m'a donné très envie de continuer à le lire.
Bisous :-*
9 dasola Le 05/10/2021