Moby Dick - H.Melville
- Gallimard - Quarto -
- Traduit de l'anglais par Philippe Jaworski -
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Pour ce rendez-vous de juillet du groupe Les classiques, c'est fantastique, le thème est maritime : Bord de mer ou Grand large. J'ai pensé à une multitude de titres ( non lus ou à relire ) dont deux promesses lointaines, de ces livres dont on a lu nombre d'extraits sans jamais se résoudre à se plonger dans l'oeuvre intégrale : L'Odyssée et le Moby Dick.
Peut-être aurais-je dû choisir Homère... J'ai eu le goût de l'aventure, j'ai embarqué sur " la longue et funeste croisière du Pequod ".
Si cette lecture ne m'a pas emportée ( je n'ai pas été loin de couler à pic - ayant sérieusement bu la tasse et manqué d'air - ou de jeter ce livre par dessus bord ) ( il est vraiment trop tentant de filer la métaphore après 600 pages de vocabulaire marin technique ), elle m'a surprise de la proue à la poupe. Je n'imaginais absolument pas que j'allais recevoir une formation complète de marin baleinier, le navire, l'équipage, les manoeuvres, les océans, les baleines évidemment.
" Appelez-moi Ismaël ". On connait cette première phrase qui présente le narrateur, à la fois chroniqueur et commentateur. Pourtant, ce n'est pas la première phrase. Le roman s'ouvre par une page d'étymologie puis quelques pages d'extraits de textes en citations concernant la baleine. Ce que j'appelle une mise en condition pour l'obsessionnel, le lecteur est prévenu.
Le roman est constitué de 135 chapitres extrêmement courts ( d'une page à peine à trois ), certains en monologue, des phrases longues d'une plume élégante, précise, lyrique, descriptive. Il ne s'agit pas d'une lecture facile mais soutenue par le fond et la forme, ni d'un roman d'aventures servant moult rebondissements et scènes d'action. On ne lit pas L'île au trésor de Stevenson mais un véritable manuel de " cétologie " et une réflexion sur l'âme humaine, sur la société humaine, non dénouée de dérision, de cynisme même. Les propos sont parfois provoquants, pointant la rigueur religieuse, les préjugés coloniaux du siècle, les dérives que nous connaissons encore aujourd'hui ( parution de Moby Dick en 1851 ).
Quand le roman et son narrateur prennent de la hauteur :
- " Sur votre perchoir là-haut, vous êtes comme perdu dans le déroulement infini de la mer que rien de dérange, sinon l'agitation des vagues. Le navire roule indolemment comme victime d'un sortilège, bercé par les alizés à demi-assoupis; tout vous invite à la langueur. La vie d'un baleinier sous les tropiques est faite, pour l'essentiel, d'une sublime absence d'incidents; vous n'apprenez aucune nouvelle, ne lisez point de journaux; aucune édition spéciale ne vient artificiellement exciter en vous des émotions inutiles avec ses récits sensationnels insignifiants; vous n'entendez parler d'aucun drame domestique, d'aucune banqueroute financière, d'aucune chute de la Bourse. "
Le récit est nourri de références bibliques ( Jonas, qui m'intéresse particulièrement, est incontournable sur le thème, et Job ), poétiques ( Milton ), littéraires ( Shakespeare, des liens implicites avec Hamlet et Macbeth pour Achab héros tragique ).
On connait l'histoire du capitaine Achab et de sa quête du cachalot blanc Moby Dick, une vengeance comme une folie ( le capitaine ayant " perdu " le combat au prix d'une jambe ). Le récit va bien au-delà sans s'en éloigner, bien que, finalement, Achab et Moby Dick soient bien peu présents, si ce n'est pour la confrontation, la chasse des trois derniers chapitres, comme si nous avions traversé un immense prologue précédemment.
Je ne vais pas analyser ce roman ici, j'en présente ma lecture. Le récit est lent car il s'attarde sur le moindre aspect, de l'embarquement à la chasse à la baleine au XIXème siècle. Nous levons l'ancre une centaine de pages après les premières lignes, pages prenantes, tout en atmosphère, la plume impertinente. Achab est présenté comme mystérieux, le voyage fatal annoncé. Moby Dick, c'est toute la symbolique, le monstre fabuleux, " le démon géant qui hante les océans de la vie humaine ". Le récit est plus lyrique qu'épique ( chapitres incroyables que ceux avec le charpentier-forgeron de bord tel un Prométhée ), c'est la lutte contre la Bête " incarnation des forces maléfiques ". La quête est mystique, une destinée, l'affrontement contre les ( ses ) démons ou une damnation, entraînant dans le tourbillon des profondeurs infernales- " une hideuse allégorie " -. Où l'on retrouve Dante, Faust aussi. Souvent, pour les baleines, c'est le mot Léviathan qui est employé, ce qui me semble en souligner le caractère mythique et mystique.
Comment ne pas penser au poème de Charles Baudelaire L'homme et la mer :
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
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Notre narrateur, Ismaël, pratique pour son lecteur des " investigations léviathanesques " - " une étude systématique et encyclopédique ", rien n'est épargné des connaissances zoologiques du XIXème sur la baleine, sur la chasse à la baleine et ses usages, sur le transformation et l'utilisation de l'huile et des os, jusqu'à l'historique, les représentations et les Héros tels Persée, Hercule, St-Georges.
Les surprises à la lecture, ce fut aussi ce qui peut paraître des paradoxes dans le propos ( respect des cultures et religions différentes, de la Nature ). Le narrateur célèbre la baleine, la puissance, la grâce et le " règne " de ce " monstre de l'abîme", autant qu'il célèbre les chasseurs, c'est à dire la destruction tout en la dénonçant.
Les paradoxes d'une fascination, comme sont fascinés-envoûtés les marins par la folie d'Achab pour cette chasse jusqu'en Enfer.
- " Si l'on excepte le bond sublime de l'animal qui brèche - saut qui sera décrit plus loin -, ce plongeon de la baleine après avoir tourné la queue constitue peut-être le spectacle le plus grandiose que puisse offrir le monde naturel. "
- " Comme les pirogues le [ un vieux cachalot ] cernaient maintenant de plus près, toute la moitié supérieure de son corps, dont une partie est ordinairement immergée, se révéla distinctement. Ses yeux, ou plutôt les emplacements qu'ils occupaient, s'offrirent aux regards. De la même façon que d'étranges excroissances de mousse se forment dans le creux des plus nobles chênes une fois qu'ils gisent à terre, de même des orbites où se logeaient autrefois ses yeux saillants des protubérances aveugles, affreusement pitoyables. mais la pitié n'était pas de mise. Car malgré son grand âge, son bras unique et sa cécité, il devait être mis à mort, assassiné, afin d'éclairer de joyeuses noces et autres réjouissances des hommes, et aussi d'illuminer ces églises solennelles où l'on prêche la douceur inconditionnelle de tous envers tous."
- " Evitons, dès lors, de nous étonner de l'étrange effarement qui, à cet instant, saisit les cachalots sous nos yeux, car il n'est point de bizarrerie chez les bêtes qui n'excède infiniment la folie des humains."
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" Si ce monde était une plaine infinie, de sorte qu'en voguant vers l'est on pût atteindre des horizons toujours nouveaux et découvrir des tableaux plus doux et plus étranges que ceux qu'offrent les Cyclades ou les îles du roi Salomon, le voyage, alors, serait riche de promesses. Mais lancés à la poursuite de ces lointains mystères qui hantent nos rêves, ou pourchassant dans l'angoisse, ce démon, ce fantôme que tout coeur humain voit flotter un jour ou un autre devant lui - ces gibiers que nous chassons autour du globe nous égarent dans des labyrinthes stériles ou nous font naufrager à mi-chemin."
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J'aime particulièrement la collection Quarto pour les lectures classiques au long cours car sont proposés des études et documents qui accompagnent le roman ( comme pour Le Docteur Jivago de Pasternak ). Ces dossiers sont motivant, ils ( me ) permettent d'appronfondir cette lecture qui m'a accaparée. Pour Moby Dick, les dossiers sont passionnants, je m'y attarde au-delà de la biographie de l'auteur pour la présentation-commentaire du traducteur-directeur de cette édition et le dossier " Des origines à la postérité " qui offre un second voyage littéraire. En lisant Moby Dick, je n'ai cessé de penser au Vieil homme et la mer d'Hemingway que j'avais relu avec émotion et admiration il y a quelques étés lors de ma " période Hemingway " ( qui n'en finit pas ).
Pour les clasiques du mois prochain, mes choix ne s'annoncent pas plus léger puisque le thème est la littérature sud-américaine, cette littérature dont je n'ai cessé de vous parler à une époque, je ne peux manquer ce rendez-vous.
Et L'Odyssée l'été prochain ? ;)
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- Pavé de l'été avec Dame Brize - Editions Quarto : 1125 pages / Roman de la page 129 à 772 -
( comme l'évoque ce joyeux logo, c'est l'année des grands voyages ;))
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Commentaires
1 Kathel Le 25/07/2022
marilire Le 25/07/2022
2 Ingannmic Le 25/07/2022
"Car "Moby Dick", c'est avant tout une histoire d'aventure dense et palpitante, dans un contexte grandiose de fureur démente, de périls et de beauté marine, qui bénéficie d'une écriture magnifique, tantôt lyrique, tantôt gouailleuse, en tous cas fortement évocatrice..."
J'ai aussi "L'Odyssée" sur mes étagères. N'hésite pas à me faire signe si un jour tu te lances, mais sans garantie que je te suive (il m'effraie encore bien plus que "Moby Dick" !!)..
marilire Le 25/07/2022
3 Des Livres Rances Le 25/07/2022
marilire Le 25/07/2022
4 Dominique Le 25/07/2022
j'ai lu partiellement le roman il y a .....bref je n'avais pas accroché du tout, je n'ai donc lu que des morceaux picorés ici et là
j'ai lu les pages préliminaires, la présentation passionnante
Et là comme toi je me suis pris de front les premières pages bien faites pour faire fuir n'importe quel lecteur !
Ensuite et bien j'ai eu peu calé et donc le roman reste comme quelques oeuvres archi célèbres un livre à lire pour moi du moins dans sa totalité
j'ai rit en te pensant passer ce livre par dessus bord; il est gros et lourd et donc il coulerait à pic !
marilire Le 25/07/2022
5 Brize Le 25/07/2022
Merci pour ton billet fort éclairant. Pour ma part, je me sens bien incapable de partir pour un tel voyage au long cours !
marilire Le 25/07/2022
6 Autist Reading Le 25/07/2022
Je me "contenterai" d'embarquer avec Pierre Loti qui a ravi plusieurs de tes partenaires du challenge Les Classiques, c'est fantastique.
marilire Le 25/07/2022
7 L'ourse bibliophile Le 25/07/2022
(Et sinon, j'ai tellement envie de relire L'Odyssée ! Si tu cherches une co-lectrice pour te motiver, n'hésite pas à me faire signe !)
marilire Le 26/07/2022
8 PatiVore Le 25/07/2022
marilire Le 26/07/2022
9 Moka Le 26/07/2022
J'avais trois titres autres que ceux que j'ai finalement sélectionnés et celui-ci en faisait partie. Il m'effrayait clairement et ce que tu en dis alimentait justement mes hésitations.
Je ne sais pas si j'y viendrai un jour, mais c'est un sacré défi relevé ici !
Quant à l'Odyssée, je ne saurais que trop te conseiller la version traduite par Jaccottet qui est la plus juste et belle qui soit. (Souvenir grisant de la fac de lettres.)
marilire Le 26/07/2022
10 niki Le 26/07/2022
marilire Le 28/07/2022
11 A_girl_from_earth Le 28/07/2022
marilire Le 28/07/2022
12 keisha Le 28/07/2022
https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/search?q=moby+dick
où tu constateras que j'ai même tâté de la VO (pas à 100%) mais quand même.
Un incontournable.
Comme L'odyssée (mais après mon flop avec L'Iliade, je ne garantis rien) et Ulysse celui de Joyce, et là franchement j'ai quand même bien essayé.
marilire Le 28/07/2022
13 Lilly Le 03/08/2022
marilire Le 03/08/2022
14 Fanny Le 03/08/2022
J'ai lu ce livre en version abrégée quand j'étais petite et je n'ai pas eu l'occasion de le relire en version originale. Tu ne me donnes clairement pas envie de m'y mettre
15 Alys Le 06/08/2022
16 tadloiducine Le 06/08/2022
Quand j'étais gamin, pour les vacances, je commençais toujours par relire l'adaptation en "Rouge & or", avant de relire le "texte intégral" en Livre de Poche - dans la maison de famille où je passais mes vacances et où se trouvaient ces deux éditions...
(s) ta d loi du ciné, squatter" chez dasola
17 nathalie Le 07/08/2022