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Le tort du soldat - Erri De Luca
- Gallimard Du monde entier-
- Traduit de l'italien par Danièle Valin -
Un vieux criminel de guerre et sa fille dînent dans une auberge au milieu des Dolomites et se retrouvent à la table voisine de celle du narrateur, qui travaille sur une de ses traductions du yiddish. En deux récits juxtaposés, comme les deux tables de ce restaurant de montagne, Erri De Luca évoque son amour pour la langue et la littérature yiddish, puis, par la voix de la femme, l'existence d'un homme sans remords, qui considère que son seul tort est d'avoir perdu la guerre.
Erri De Luca... toujours sa voix singulière. J'emploie ce mot voix avant celui de plume. Toujours cette impression qu'il chuchote les mots, ses mots directs, forts de leur absence de fioritures et d'effets de manche; cette impression qu'il dit en regardant son lecteur, que ce regard participe au récit.
Deux récits de mémoire comme une confrontation plus qu'une rencontre, aussi furtive que définitive. La première partie, presque une introduction, donne le cadre, le contexte, les phrases de l'auteur, à la façon d'une préface autobiographique alors même que ce récit est fiction. Ces deux narrateurs racontent leur histoire dans l’Histoire, celle les ayant précédés bien qu’inscrite dans la leur. Il ne s’agit pas d’un double récit relatant la même histoire mais plutôt chacun son chemin de mémoire. Ou pas. Etrange récit que le second, celui de cette jeune femme ayant appris étudiante que celui qu’elle croyait son grand-père était son père, un père nazi ; étrange jeune femme qui demeure à ses côtés, son silence en condamnation. Elle ne connaîtra jamais son nom.
« Nous restâmes face à face : un facteur en uniforme et une fille de vingt ans qui pour la première fois avait un père, un homme recherché pour crimes de guerre. Lesquels et combien : j’ai voulu l’ignorer. Je ne crois pas à l’importance des détails. Ils sont utiles dans un procès, mais pas pour une fille : la circonstance horrible devient atténuante car elle réduit le crime à des épisodes. En revanche, dépourvu de détails, le crime reste sans limites. […] Il avait beau définir son service à la guerre, le réduire aux effets d’une défaite, pour moi sa faute restait certaine et sans appel. Je lui ai opposé ma volonté de ne vouloir aucune explication. »
Et c’est finalement sur sa propre histoire qu’elle revient, ponctuant son récit de « je m’excuse de la digression », sur sa relation aux hommes, celle à son corps. Cette jeune femme, narratrice à la quarantaine, devint modèle pour une académie d’art. Son père se dissimule, elle s’expose. Lui, en uniforme de facteur, elle dévêtue… Les deux ne sont qu’apparences et silences.
J’ai retrouvé dans ce deuxième récit ce sentiment de lecture qui, à la fois, effleure de la main, d’une main rugueuse, et accroche en profondeur, cette « matière », cette densité des mots, ce concret qui s’attache paradoxalement aux sensations, aux images, en murmures intimes sur cette certaine brutalité parfois de phrases saillantes, qui frappent, qui claquent, quand d’autres emportent ou font lever les yeux vers le ciel… Dans la terre vers le ciel, cette expression définit pour moi la lecture d’Erri De Luca. Je me souviens de ces pages splendides, marquantes, de descriptions d’arbres dans Trois Chevaux.
Et ce thème récurrent de l’écriture, dans ces deux significations, ce qu’est être écrivain ainsi que le sacré de l’écriture, du signe ; un sens spirituel, une mystique de l’écriture et un engagement humain.
« Ils se couvraient en débitant de fausses expressions. C’est ce que font les pouvoirs et il revient aux écrivains de rétablir le nom des choses. »
Ainsi, cette première partie paraît moins narrative, si réaliste, relatant le parcours de son auteur, le voyage en Pologne, la visite du ghetto de Varsovie dont il raconte l’histoire, celle du camp de Birkenau, premières visions de corps nus dans ce texte, son choix de traducteur – « le yiddish a été mon entêtement de colère et de réponse » - et ses auteurs, dont Isaac Babel que je vais lire enfin. Par lui.
Tout ce livre par ce mot hébreu èmet « vérité ».
« En lectrice, je sais que le meilleur effet que produit sur moi une écriture c’est de laisser en suspens mon incrédulité. »
*
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Commentaires
1 jérôme Le 12/03/2014
2 mirontaine Le 12/03/2014
3 Anne Le 12/03/2014
4 Manu Le 12/03/2014
5 Marilyne Le 12/03/2014
@ Mirontaine : pas de regret, il vient de paraître, ce sera pour la prochaine balade ( limite, tu as le prétexte à cette très prochaine balade )
@ Anne : merci. Précipitons-nous :)
@ Manu : je comprends ton hésitation, je ne suis pas certaine qu'il te conviendrait. Je réfléchis aux titres que j'ai lus et j'hésite aussi.
6 Aifelle Le 13/03/2014
7 clara Le 13/03/2014
8 Hélène Le 13/03/2014
9 Kathel Le 13/03/2014
10 Marilyne Le 13/03/2014
@ Clara : j'ai dit tout pareil :-)
@ Hélène : il devrait te plaire aussi ( " Trois Chevaux " reste le plus marquant. Avec " Acide Arc en ciel " peut-être )
@ Kathel : tu as raison d'oser ! C'est étrange cet auteur, autant les livres que j'ai choisis de lire font partie de mes belles lectures, autant certains de ses titres ne me tentent pas du tout !