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Je dénonce l'humanité - Frigyes Karinthy
- Viviane Hamy -
- Traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy -
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Il ne s'agit pas d'un recueil de nouvelles mais d'une anthologie de chroniques. F.Karinthy est humoriste, cette anthologie présente quarante chroniques écrites entre 1912 et 1934 mêlant les genres ( certaines relèvent de l'absurde, deux du fantastique avec la Machine à remonter le temps ) et les sujets. Les textes sont très courts, de deux à quatre pages, souvent inscrits dans une actualité, une actualité au quotidien.
Comme le suggère le titre, dans ses chroniques, Frigyes Karinthy pointe " les petits défauts et les grandes manies " de ses contemporains. Scènes quotidiennes en tableau de société. Les textes datant des années 1910 sur les débuts de la psychanalyse sont savoureux, comme sont excellents ceux, engagés, écrits durant la Première Guerre Mondiale ou juste après, dénonçant les horreurs du conflit avec cynisme, témoignant des convictions pacifistes de leur auteur.
Jouant parfois de l'excès, de la caricature, Frigyes Karinthy croque les Hongrois et la Hongrie avec insolence, pratiquant l'(auto)dérision. De l'humour à froid, le ton est sarcastique. Certaines chroniques touchent à l'universalité, d'autres sont attendues, le recueil, sur le nombre, est forcément inégal mais j'en ai apprécié la vivacité de la plume.
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- Ennui momentané d'argent -
[...]
" Je suis gentiment installé à la table du Grand café et l'homme à la balle dans la tête [ un mendiant , cette chronique date de 1923 ... ] s'approche. L'homme à la balle dans la tête, chaque après-midi, reçoit naturellement les cinq sous qui lui sont dus, il ne me dit rien, simplement il se plante à côté de ma table et il attend. Comme aujourd'hui.
Je fouille dans ma poche. Diable ! Dans mon porte-monnaie je ne trouve aucune pièce, et apparemment j'ai oublié mon portefeuille à la maison.
La situation devient embarrassante.
L'homme à la balle dans la tête reste debout; il attend, calme et modeste, mais son visage ne témoigne ni compassion ni compréhension. Je lui jette un regard de côté. Ses paupières cillent une fois, comme s'il éprouvait malgré tout un instant de pitié pour mon trouble embarrassé, mais l'instant suivant il a endurci son coeur par ailleurs plein de bonté. "Je regrette - lis-je dans son regard -, je sais que c'est gênant, mais tu en conviendras, ami, dans la grave situation économique présente, je ne peux pas me permettre de te faire cadeau, ni même crédit, ne serait-ce que de cinq sous. Je regrette. On est sévère à mon égard également, on ne me fait pas de cadeau. Schenkt mir jemand ?"
Je rougis. Je me lève. Je lance négligemment :
- Attendez une minute.
Je fais le tour du café. C'est bien le diable si je ne rencontre pas une connaissance. Mais oui, bien-sûr, monsieur le directeur de la banque. Et je m'approche de lui. Quand j'arrive à sa hauteur, le courage me quitte - non, il est en train de lire, c'est ridicule -, je devrais inventer une blague pour lui emprunter cinq sous. Je n'ai pas envie de blaguer - me planter devant lui et entamer des explications sur mon portefeuille oublié à la maison... Eh bien, non.
Le préposé au café... l'ennuyer avec des histoires pareilles... non, c'est impossible. ça y est ! Le garçon ! On ne peut pas... précisément devant la compagnie qui m'observe toujours avec autant de curiosité - je ne peux pas leur permettre d'avoir un aperçu sur ma vie privée.
- Votre serviteur, monsieur ! ...
- Je me retourne.
Le mendiant unijambiste, mon cher ami blagueur, bohème. Il m'accorde un regard chaleureux et prévenant. Alors je me sens envahi d'un humour macabre.
- Vous tombez bien, au lieu de vous donner quelque chose, j'ai justement besoin de cinq sous !
- Mais bien-sûr, monsieur, voilà, je vous en prie ! s'exclame-t-il gaiement.
Et il me les tend.
L'homme à la balle dans la tête m'attend toujours près de ma table. Austère, placide, implacable. Dieu merci, je peux lui régler son dû. C'est bon tout de même d'avoir des relations quand on a des ennuis momentanés d'argent. "
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Des chroniques comme des croquis sur le vif, avec quelques clins d'oeil à son ami Dezsö Kosztolanyi dont nous parlerons vendredi :)
- Sur le site de l'éditeur, il est possible de lire le premier texte ICI -
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De Frigyes Karinthy, Mina vous présente le recueil de nouvelles Le cirque
Flo à lu Epépé de Ferenc Karinthy ( fils de Frigyes Karinthy )
- Automne hongrois avec Coccinelle et Michael -
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Commentaires
1 Kathel Le 22/10/2014
2 Marilyne Le 22/10/2014
( fatalement, je lirai " Epépé " )
3 Aifelle Le 22/10/2014
4 Flo Le 22/10/2014
5 keisha Le 22/10/2014
6 Marilyne Le 22/10/2014
@ Flo : effectivement, je l'ai lu peu à peu, d'autant qu'il faut s'adapter au mélange des genres et des thèmes, du léger au grave, et que les textes se sont pas proposés chronologiquement.
@ Keisha : Bien joué ! :D
7 Mina Le 23/10/2014
Je suis en revanche moins convaincue par l'extrait et moins sure de poursuivre avec l'auteur... Peut-être à feuilleter pour me faire une idée avec un ou deux textes supplémentaires : quels autres chroniques t'ont plu ? (pour que je ne me lance pas à l'aveugle)
8 Marilyne Le 23/10/2014
Sincèrement, je ne crois pas que ce soit une lecture pour toi. Tu peux lire la chronique proposée par l'éditeur sur son site. Sans hésitation, j'ai préféré celles dénonçant la guerre, directement ou pas ( celle citée en fait aussi partie ) ( " les joueurs d'échec ", " Gaz ", " conserve d'homme "... ) et celles en autodérision ou pointant, comme celle citée encore, quelques hypocrisies et absurdités sociales.
Si je devais choisir une lecture hongroise pour toi, si nous ne parlons pas d'Agota Kristof, je te demanderai de découvrir Imre Kertesz et je te conseillerai sûrement " Couleur de fumée " de M.Lakatos...