Les buveurs de lumière - Jenni Fagan
- Métailié – Août 2017
- Traduit de l’anglais ( Ecosse ) par Céline Schwaller -
2020. Le monde entre dans l'âge de glace, il neige à Jérusalem et les icebergs dérivent le long des côtes. Pour les jours sombres qui s'annoncent, il faut faire provision de lumière – neige au soleil, stalactites éclatantes, aurores boréales.
Dylan, géant barbu et tatoué, débarque au beau milieu de la nuit dans la petite communauté de Clachan Fells, au nord de l'Écosse. Il a vécu toute sa vie dans un cinéma d'art et essai à Soho, il recommence tout à zéro. Dans ce petit parc de caravanes, il rencontre Constance, une bricoleuse de génie au manteau de loup dont il tombe amoureux, et sa fille Stella, ex-petit garçon, en pleine tempête hormonale, qui devient son amie. Autour d'eux gravitent quelques marginaux, un taxidermiste réac, un couple de satanistes, une star du porno.
Les températures plongent, les journaux télévisés annoncent des catastrophes terribles, mais dans les caravanes au pied des montagnes, on résiste : on construit des poêles, on boit du gin artisanal, on démêle une histoire de famille, on tente de s'aimer dans une lumière de miracle.
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Ma première lecture d’un roman de Jenni Fagan date de 2014 et ce fut une claque. Ce premier roman s’intitule La Sauvage ( lien vers la chronique sur le titre - il est maintenant publié en format poche, collection Suites des éditions Métailié ). Alors, lorsque j’ai revu le nom de Jenni Fagan dans les programmes de parutions puis sur la table d'une librairie, je n’ai pas résisté, malgré cette quatrième de couverture hésitant entre la fable écologique et l’apocalyptique d’un monde « qui va finir comme une version gelée de Pompéi. »
Et je n’ai pas regretté mon choix. Le propos n’est pas environnemental même si le contexte est plus qu’un prétexte, qu’un décor, narratif. Le propos est fondamentalement vivant. Et cet environnement de froid, de neige, de glace, que décrit l’auteur écossaise offre à son lecteur des pages splendides sur « l’hiver [qui] fait ses travaux de décoration. »
S’il est question de survie, ce n’est pas seulement à une probable période glaciaire. Il y a ce qui est transi aussi à l’intérieur, et ce qui brûle.
Ce qui m’a frappée dans ce roman, c’est la multiplicité des thèmes abordés autour de l’identité ( transsexualité, filiation, deuil, secrets de famille, isolement affectif et culturel, la difficulté de « laisser entrer le monde dans la vie »)
« Gunn MacRae est morte un 1er Mai ; elle s’est recroquevillée dans son lit comme une enfant fragile, et Vivienne s’est allongée à côté d’elle pour lui caresser les cheveux et lui chanter des chansons jusqu’à ce qu’elle passe de l’Autre Côté. Dylan les avait observées toutes les deux depuis le seuil. Il la voit encore. Son profil à la romaine. Ses bras fins. Un sourire comme si elle savait quelque chose mais ne voulait rien dire à qui que ce soit. Il ressent une douleur dont il n’arrive pas à se débarrasser et il doute qu’une souffrance aussi physique ait la moindre chance de passer. A vif. Voilà comme il se sent. Il va jusqu’à la fenêtre. Il n’y a toujours aucun signe de la cireuse de lune. S’il avait eu une caméra, il l’aurait filmé et en aurait fait un court métrage. C’est peut-être ce qu’il devrait faire de sa vie à présent. Tourner des films et vivre, au lieu de les regarder en se contentant d’exister. C’est une idée. »
J’ai été happée encore une fois par l’écriture, des descriptions à la densité des dialogues, des silences aussi.
Les chapitres courts livrent une écriture à la fois crue et picturale, coupante et dure parfois comme la glace, et pourtant la poésie y affleure, délicate, légère, la grâce d’un flocon de neige, de ce temps hors temps à le regarder. Il s’agit sans aucun doute du second roman d’une poète. Il y a une inspiration, il y a un souffle dans ce récit plus que réaliste malgré le décalage temporel et la situation météorologique extrême, et ce qui reste, c’est l’immense tendresse des personnages, pour les personnages, au-delà du brutal devant et autour, de l’ironie, de l’indéniable sens de la formule.
S’enfoncer ensemble dans cette nuit hivernale aux éclats d’une aurore boréale, voici l’une des plus magistrales scènes de ce livre.
Une belle lecture, étrange roman en violents contrastes de sombre et de lumineux.
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Commentaires
1 Aifelle Le 14/09/2017
2 Marilyne Le 14/09/2017
3 kathel Le 14/09/2017
4 Marilyne Le 14/09/2017
5 niki Le 14/09/2017
6 MTG Le 14/09/2017
La cireuse de lune ??
7 Marilyne Le 14/09/2017
@ MTG : Oh, pas compliqué, la lecture est fluide, pas trop de personnages. Oui, il y a un aspect dystopique avec ce dérèglement du climat, je l'ai surtout trouvé intéressant pour la relation entre les personnages qu'il implique, et pour les descriptions.
" la cireuse de lune " est une petite scène jolie et l'une des images de ce roman : la première fois que Dylan voit Constance, elle est à l'extérieur avec un chiffon à la main bras tendu, il fait nuit, on dirait qu'elle cire la lune...
8 Folavril Le 14/09/2017
9 Lili Le 14/09/2017
10 Marilyne Le 15/09/2017
@ Lili : Avec plaisir ( et merci pour ce commentaire ). Trois ans d'écart entre les deux romans, j'espère qu'il y en aura d'autres !
11 Marilyne Le 15/09/2017
12 Ellettres Le 16/01/2018
13 Marilyne Le 16/01/2018