Le rêve du Celte - M.Vargas Llosa
- Gallimard 2011 - Folio 2013 -
- Traduit de l'espagnol ( Pérou ) par Albert Bensoussan & Anne-Marie Casès -
Le thème central de ce roman, conduit au rythme haletant des expéditions, est la dénonciation de la monstrueuse exploitation de l'homme par l’homme.
Roger Casement (1864-1916) découvre l’injustice sociale au fil de ses voyages au Congo et en Amazonie. Au rêve d’un monde sans colonies qui guidera son combat s’ajoutera, comme son prolongement nécessaire, celui d’une Irlande indépendante. Tous les deux marqueront la trajectoire de cet homme intègre et passionné dont l’action humanitaire deviendra une référence incontournable mais que son action politique mènera à un destin tragique.
.
Avec cette première lecture de l'auteur péruvien Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature 2010, je me rends compte que je poursuis une thématique Amazonie, débutée avec l'érudit récit de voyage de Patrick Deville Amazonia; thématique que me confirment mes prochains projets letures et chroniques.
Nous ne voyageons pas qu'en Amazonie avec cette biographie romancée de l'irlandais Roger Casement, consul britannique. Nous suivons son parcours cruel d'idéaliste-humaniste jusqu'à sa chute, son exécution à Londres en 1916 pour haute trahison.
Il m'a fallu du temps après lecture pour rédiger cette chronique, car une profonde tristesse m'a affectée au fil des pages. Tant de désillusions, de doutes et de souffrances intimes dans la vie de cet homme.
Sans avoir poursuivi ses études, Roger Casement embarque pour l'Afrique à 20 ans. Il admire les grands explorateurs - tels Livingstone et Stanley - convaincu de la mission civilisatrice de l'Europe. Il y fait ses armes jusqu'à devenir consul de Grande Bretagne en 1900. Il passe vingt ans en Afrique, y contracte la malaria, se met en péril, physique et psychologique, à de nombreuses reprises. Ces années là, il découvre la réalité de la colonisation. Il est envoyé au Congo, pour rédiger un rapport sur les conditions de travail, dénoncés, dans les compagnies caoutchoutières. Durant cette période, le Congo est le premier producteur mondial de caoutchouc. En 1903, il effectue un long périple pour ce rapport qui sera un voyage en enfer; un voyage Au coeur des ténèbres, pour reprendre le titre de Joseph Conrad qu'il fréquente.
Ce voyage et ce rapport sont terribles : sur les territoires de collecte du caoutchouc, ce ne sont qu'exactions et esclavagisme. Roger Casement mène à terme sa mission, révolté par les violences et les mensonges dans ce " mal institutionnalisé qu'est devenu le Congo "; où il ne voit que préjugés raciaux, cupidité et impunité; tout y est corruption.
Sa mission suivante ne l'épargnera pas. Du fait du retentissement de ce rapport qui porte son nom, il est envoyé au Pérou, après avoir été quatre ans consul au Brésil, pour une commission d'enquête du même type. Les pratiques de la puissante Peruvian Amazon Compagny, compagnie caoutchoutière britannique, sont à leur tour dénoncées. Roger Casement part pour le Putumayo, région de plantations d'hévéas. Il assiste à la " machine d'exploitation et d'extermination " des Indiens.
De ces expériences inhumaines naissent ses convictions anticolonialistes qui le font se retourner sur l'histoire de l'Irlande, le font réfléchir à la disparition de la langue gaélique, de ses traditions et sa culture, de son passé. Il embrasse la cause nationaliste, revendiquant l'indépendance, jusqu'à se radicaliser en prônant une libération par les armes. C'est ce choix, motivé par sa haine de l'empire britannique, qui lui coutera non seulement la vie mais également la désaffection d'amis de longue date; ce choix de choisir l'Allemagne, ennemie de la Grande Bretagne, durant la Première Guerre Mondiale.
La narration de ce roman rend la lecture prenante et bouleversante, au plus proche de l'homme. Le récit alterne des chapitres courts, ceux sur un temps extrêmement resseré des derniers jours de son incarcération dans l'attente d'une hypothétique grâce, durant lesquels Roger Casement se souvient, par fragments, par moments, avec les chapitres chronologiques de son parcours qui sont aussi un tableau d'époque. Ces derniers sont précis, documentés, tandis que les premiers, plus intimes, sont émouvants, troublants. C'est l'homme face à ses déceptions, ses regrets, ses erreurs, ses abondons, sa solitude; l'homme face à ses doutes spirituels, ses douleurs - sa santé détériorée -, son homosexualité si peu assumée, ces étreintes tarifées de rue, ses fantasmes. Ce sont ses " plaisirs mercenaires " qui vont définitivement le condamner. Pendant sa détention, seront publiés ses carnets dans lesquels il écrivait quelques mots, dans " un style vulgaire et télégraphique " à propos de ses désirs, assouvis ou non. ( Actuellement, aucune réponse ne peut être donnée à propos de ses carnets, s'ils sont de sa main, si les notes sont fantasmes ).
.
Je suis heureuse d'avoir rencontré Roger Casement, même si cette lecture me laisse un goût amer.
" ... le Congo l'avait humanisé, si être humain voulait dire connaître les extrêmes auxquels peuvent atteindre la cupidité, l'avarice, les préjugés, la cruauté. C'était cela, la corruption morale, oui : quelque chose qui n'existait pas chez les animaux, une exclusivité des humains. Le Congo lui avaut révélé que ces choses-là faisaient partie de la vie. Il lui avait ouvert les yeux. L'avait " dépucelé ", lui aussi, comme le Polonais [ J.Conrad ]. Il se rappela alors qu'il était arrivé en Afrique, à ses vingt ans, encore vierge. N'était-il pas injuste que la presse, comme l'avait dit le sheriff de Pentonville Prison, n'accuse que lui, au coeur de la vaste espèce humaine, d'être une ordure ? "
Sur la première de couverture, c'est une photographie de Roger Casement vers 1900.
J'aime aussi beaucoup le choix de couverture de l'édition originale
*
Ajouter un commentaire
Commentaires
1 Sandrine Le 06/04/2020
marilire Le 06/04/2020
2 niki Le 06/04/2020
je voudrais tellement faire baisser ma pal
marilire Le 07/04/2020
3 Patrice Le 07/04/2020
marilire Le 07/04/2020
4 Aifelle Le 07/04/2020
marilire Le 07/04/2020
5 Kathel Le 07/04/2020
marilire Le 07/04/2020
6 Passage à l'Est! Le 07/04/2020
marilire Le 07/04/2020
7 Autist Reading Le 08/04/2020
marilire Le 09/04/2020
8 maggie Le 09/04/2020
marilire Le 09/04/2020
9 Ingannmic Le 09/04/2020
Je note ce titre, je commencerai par celui-là, même s'il semble désespérant, son sujet m'intéresse énormément !
Et oui, il faut lire Au cœur des ténèbres !
marilire Le 09/04/2020
10 Lili Le 09/04/2020
marilire Le 10/04/2020
11 Alys Le 12/04/2020
marilire Le 12/04/2020