Le baiser au lépreux - F.Mauriac
.
Lit-on encore François Mauriac ( hormis son roman Thérèse Desqueyroux s’il est maintenu aux programmes scolaires, et peut-être Le Noeud de vipères ) ? Est-il réduit-négligé par cette étiquette de « romancier catholique» ? Par ses thèmes « bourgeois » ? Les questions morales et spirituelles sont-elles considérées comme « dépassées » ?
Pourtant, dans ce court roman ( d’une centaine de pages ), la dimension sociale est omniprésente, la critique virulente : mariage arrangé, ragots, mesquinerie, avidité, toute l’hypocrisie de ces petits milieux bourgeois de province. Le ton est cinglant.
L’histoire est belle, tendre, sensuelle, tragique. Elle relate le triste destin de jeune Jean Péloueyre, doté de fortune familiale mais rachitique, laid, rendu timide et empoté par sa disgrâce et les moqueries. Il se considère comme un déclassé, un faible, mots qu’il a lus sous la plume de Nietzsche, des extraits sur la volonté de puissance. Perturbé par cette lecture mal comprise, il acquiesce à l’organisation de son mariage avec une jolie jeune fille de bonne famille. La naïveté des futurs époux, leur foi, fait contraste avec les manigances revanchardes liées à ce mariage, notamment du curé : Jean est l’unique héritier, s’il ne fonde pas de famille, sa fortune ira à son cousin, anticlérical affirmé. La famille de Noémie est désargentée : « on ne refuse pas le fils Peloueyre ». Ce mariage sera un échec menant l’époux à la mort, une forme de suicide, pour libérer de lui sa jeune épouse. Un double sacrifice, un double renoncement, cette «transfiguration» finale annoncée par le titre, sa dimension spirituelle. Ce n’est pas qu’elle ne l’aime pas, il s’agit d’un divorce entre son esprit et son (non) désir physique : « Noémie fuyait Jean, ou plutôt le corps de Noémie fuyait le corps de Jean, - et Jean fuyait le dégoût de Noémie.»
Je comprends que ce roman, datant de 1922, ait fait scandale. L’auteur entraîne le lecteur dans la chambre nuptiale. Il parle de la sexualité d’un couple, du désir, de l’absolu pouvoir masculin - que Jean se refuse à exercer - sans mot crû mais sans complaisance ni métaphore alambiquée, avec un vocabulaire évocateur et éloquent, parvenant à demeurer pudique, à ne pas délier le sexe du sentiment. Ce roman vaut vraiment par son écriture. Elle sait dire la violence sociale, celle des émotions, des tourments; elle sait s’adoucir, mettre en scène cette tendresse si prégnante malgré tout, s’attardant sur les saisons, les lumières, les parfums et les paysages landais, sa région où se déroule ce roman d’une réelle finesse psychologique, sans concession.
.
Comme pour F.Mauriac, je me pose la question au sujet de l’oeuvre de G.Bernanos ( bien que pour deux de ses romans, il y ait eu des adaptations cinématographiques accessibles puisque relativement récentes. Et que l’on revient parfois à son récit « Des cimetières sous la lune » pour l’aspect reportage sur la Guerre d’Espagne. ).
Alors que je tourne les pages de l’édition Pléiade qui réunit ses écrits, je m’interroge également pour G.Orwell. Qui lit son Hommage à la Catalogne, ses romans tirés de reportages, ses textes militants ? Trop datés ? Ou l’auteur est-il écrasé par son roman 1984 et la fable La ferme des animaux ( réduite elle aussi à une satire anti-communiste alors qu’elle dénonce toutes formes de dictature - Sur cette manipulation du texte par l’Etat américain, une chronique ICI ) ? Je remarque que malgré les lectures enthousiastes de son roman ( et des adaptations BD qui ont déferlé lorsque l’oeuvre est passée dans le domaine public il y a peu ), ces lectures ne sont pas suivies d’autres titres du même auteur. Je pense ensuite à Simone Weil. Cloîtrée sur l’étagère de philosophie ? Une histoire d’étiquette « d’auteur chrétien » comme pour F.Mauriac ?
Mon premier volume Pléiade - j’avais à peine la vingtaine et l’impression de tenir entre les mains un trésor ( je vous assure que vous ne voulez pas savoir quels sont les autres volumes Pléiade sur mes étagères, ils sont tout aussi tendance et affriolants ;)) - fut celui des romans d’André Gide. J’avais été subjuguée par la lecture de La symphonie pastorale. L’oeuvre de Gide est passée en 2021 dans le domaine public. Je ne me souviens pas avoir vu spécialement de rééditions, de mise en avant même, contrairement à la déferlante 1984 d’Orwell. Lit-on encore A.Gide ?
Je me rends compte que, alors que ses auteurs sont toujours présents dans mes bibliothèques, ils n’apparaissent pas sur ce blog.
Je crois que je vais relire Thérèse Desqueyroux.
Ce qui, finalement, me semble logique, puisque j’apprends par Virginie Despentes ( que je ne préfère pas qualifier alors que je pourrais m’amuser considérant que son pseudonyme vient du quartier où je vis - certes à mi-temps, quand je ne suis pas à Paris ou réfugiée dans la bucolique maisonnette -, c’est-à-dire les Pentes de la Croix Rousse à Lyon, quartier revendiqué comme artistico-alternatif, avec tous les clichés fournis ) qu’étant célinienne, je suis soumise et d’extrême-droite ( mazette, il était temps de me le dire ) :
« Pour être un grand auteur, il suffit que trois fils à papa se pâment en hurlant au génie. Et je méprise les céliniens. Quand ils évoquent son style inégalable, c’est toujours la soumission au pouvoir qu’ils célèbrent - quand ce pouvoir est d’extrême-droite.»
Cette citation est extraite de Cher connard, livre que je n’ai pas lu, que je ne lirai pas, pas plus que les autres titres de V.Despentes. Comme je suis fatalement de mauvaise foi, je me suis contentée d’un long article/interview pour en savoir un peu plus ( et comme j’ai mauvais esprit, on me fera pas croire qu’il faut contextualiser cet extrait ). Terrible comme je manque parfois de curiosité et de subtilité. Et puisqu’il s’agit d’user de polémique et de vulgarité comme mode de communication, je vais lire l’inédit Londres. Avec grand intérêt, pas seulement pour confirmer mon méprisable cas de lectrice.
*
Ajouter un commentaire
Commentaires
1 nathalie Le 14/10/2022
marilire Le 15/10/2022
2 Kathel Le 14/10/2022
De Mauriac, je crois avoir lu Le noeud de vipère, mais n'en suis pas certaine...
marilire Le 15/10/2022
3 Ingannmic Le 14/10/2022
Mais nous avons à cette occasion, elle et moi, lu ou relu pas mal de ses titres, et y avons pris beaucoup de plaisir (notamment avec Thérèse Desqueyroux, Le sagouin, Génitrix, Le mystère Frontenac..). Je trouve dommage qu'il ne soit pas lu davantage, car je trouve qu'il dépeint avec profondeur les mécanismes de l'emprise (dans le couple ou la famille, au sens de la cellule familiale ou plus largement du clan), en même temps qu'il pose des ambiances très prégnantes (on étouffe, on souffre avec ses personnages..).
Lors des journées du patrimoine, je suis allée visiter son domaine landais (que ses enfants ont donné à la région Aquitaine), où sont proposées de nombreuses animations très intéressantes autour entre autres de la littérature, tout au long de l'année. Cela permet notamment de ne pas rester bloqué sur cette image catholique et bourgeoise que tu évoques. Il était bien plus que cela, et mérite amplement d'être redécouvert...
Et donc selon les critères de V.Despentes, je suis également "soumise et d’extrême-droite" !! (arrghhh !!)
Et j'aime aussi Georges Bernanos (décidemment, je suis bonne à prendre !!)
marilire Le 15/10/2022
4 Ingannmic Le 15/10/2022
Et je n'ai pas lu Guerre mais j'en ai bien l'intention. Toutefois, j'attendrai sans doute sa sortie poche (j'ai par ailleurs sa "trilogie", avec Nord et D'un château l'autre, sur mes étagères, que je n'ai toujours pas lue...).
marilire Le 17/10/2022
5 Passage à l'Est! Le 15/10/2022
marilire Le 17/10/2022
6 Aifelle Le 15/10/2022
marilire Le 17/10/2022
7 Anne Le 15/10/2022
marilire Le 17/10/2022
8 A_girl_from_earth Le 16/10/2022
marilire Le 17/10/2022
9 keisha Le 16/10/2022
En 2018 j'avais franchement beaucoup aimé des chroniques "On n'est jamais sûr de rien avec la télévision", un Mauriac inattendu (et drôle!)
Hautement recommandable.
marilire Le 17/10/2022
10 Cleanthe Le 16/10/2022
marilire Le 17/10/2022
11 Autist Reading Le 17/10/2022
Mauriac, Gide, Bernanos... La liste des auteurs reconnus autrefois "populaires" et aujourd'hui tombés dans l'oubli est très longue (Martin du Gard, Montherlant, Morand...) . Au-delà du phénomène de mode, et donc de leur passage plus ou moins long au purgatoire des auteurs, le problème avec ces auteurs "classiques", c'est qu'ils souffrent beaucoup de leur passage obligatoire dans les lectures de collège.
J'ai lu Gide pour la première fois au collège justement (Les faux-monnayeurs) et en toute honnêteté, je n'avais pas suffisamment de maturité pour appréhender ce roman. J'ai lu ensuite La Symphonie pastorale qui est plus facilement abordable et peut se lire à plusieurs niveaux. En revanche, j'ai longtemps été "hypnotisé" par Les Nourritures terrestres.
Si j'osais, je dirais que, comme une star de variétés, Orwell est victime de ses tubes. Moi le premier, que sais-je de son œuvre en dehors de 1984 et de La ferme des animaux ? Rien.
marilire Le 17/10/2022
12 Ingannmic Le 18/10/2022
On peut caler ça pour la mi-janvier, par exemple ? Ca laisserait le temps d'avertir ceux qui souhaitent se joindre à nous ?
marilire Le 18/10/2022
13 Aifelle Le 19/10/2022
marilire Le 20/10/2022
14 tadloiducine Le 03/01/2023
Je m'inscris pour un billet à rédiger sur un bouquin de Mauriac le 15 janvier (je ne sais pas encore lequel ce me sera l'occasion de relire - après quelques décennies...!).
J'avais été interpelé quand Ingamnic m'avait signalé le peu d'écho de leur précédente initiative (pour me "consoler" que le "Mois Wells" ait eu moins de succès que ce que j'espérais l'été 2022), et je m'étais dit qu'il faudrait que je participe, une prochaine fois, pour cet auteur...
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
marilire Le 03/01/2023