La huitième vibration - Carlo Lucarelli
- Métailié - Collection Suites - 2016 -
- Traduit de l'italien par Serge Quadruppani -
Janvier 1896. Un corps expéditionnaire débarque dans la colonie italienne d'Erythrée. Il est composé de recrues de toute la péninsule, avec leurs histoires, leurs accents, leurs espoirs et leurs mille dialectes : l'anarchiste décidé à porter la sédition, le rêveur d'Afrique qui en mourra, le major drogué et psychotique, le héros pressé d'affronter le désert, les caporaux cyniques, un berger des Abruzzes au parler si obscur que personne ne le comprend et le brigadier des carabiniers qui s'est engagé pour débusquer parmi les officiers un assassin d'enfants. Tandis qu'une petite fille danse interminablement dans la poussière, toutes les trames, les amours pures ou perverses, les projets grandioses et les appétits grossiers convergent vers la terrible bataille d'Adoua, la première grande défaite d'une armée blanche devant des troupes africaines.
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Ce roman de Carlo Lucarelli ( auteur prolixe également chroniqueur, scénariste et dramaturge ) est un grand roman au souffle épique, un roman noir également roman d'aventures et de voyage, un roman de guerre et un roman d'amour.
Foisonnant, c'est le mot, de nombreux personnages ( militaires et colons ) - à la façon d'un roman choral par l'alternance des points de vue - pour un véritable kaléidoscope de l'Italie coloniale, de la diversité italienne. A travers les personnages, l'auteur définie l'esprit des régions italiennes dont ils sont originaires, portant l'accent sur leur accent justement, les mots, la prononciation - où l'on salue le talent du traducteur -. Sur cet aspect, cette lecture m'a rappelé les propos des auteurs italiens écoutés lors de Quai du Polar, la conférence Géographie à l'italienne.
C'est comme une fresque ce foisonnement de personnages ( sans que le nombre nous perde ), nous les suivons chacun, qu'ils soient sombres, corrompus, tragiques ou bouleversants. Ma tendresse est restée accrochée à la simplicité et la ténacité d'un paysan des Abbruzes, Pasquale Sciortino, déclaré volontaire, qui ne comprends pas grand chose en italien, systématiquement surnuméraire. Je n'ai pu m'empêcher de sourire en lisant le nom du jeune anarchiste enrôlé : Pasolini.
Malgré ses allures d'épopée, le récit ne se complait dans aucun lyrisme, le réalisme prime, l'ironie pointe. L'écriture touche au coeur de ses personnages tout en sachant nous immerger dans les lieux - bien plus qu'un décor -, cette touffeur, le poids de la chaleur, l'air " immobile et lourd " de " ce maudit pays brûlé par ce soleil infâme, avec cette armée de recrues ramassées au hasard dans tous les bataillons du royaume. "
Les chapitres sont courts, la tension monte. C'est un roman noir, il ne reste presque rien à sauver, et pourtant, il y a les rêves, les espoirs, les passions, qui se délitent dans l'atmosphère délétère, brûlante, moite, parfois glauque, révoltante.
Les aspirations et les événements s'entremêlent, ce peut-être jusqu'à la folie, jusqu'à l'absurde, tout se noue, se dénoue. Quelle maîtrise narrative !
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" C'était le troisième bâtiment qui arrivait à Massaoua cette semaine, et il en arriverait d'autres. Nul besoin d'être fonctionnaire ou militaire pour le savoir, ni même correspondant du Secolo ou de la Tribuna. Peu importait aussi d'être ou non italien, ou gradés des askaris, les troupes indigènes, ou la concubine d'un officier, le valet du gouverneur ou un espion du Négus. Tout le monde le savait, même les porteurs de poisson de la vieille ville et les mendiants juifs de Taouloud, les maquereaux grecs de l'Arsenal et les enfants au ventre enflé qui mouraient de faim à Otoumlo.
ça se sentait.
ça se sentait dans l'air qui écrasait la ville.
Il y avait quelque chose de différent dans cet air immobile et lourd, chaud comme un four, une odeur âpre de métal et de fumée mouillée, un frisson électrique, qui sentait le brûlé et faisait dresser les poils des bras. On était déjà dans la saison des pluies, mais ce n'était pas un air d'orage que tous pouvaient sentir, à Massaoua et le long de la côte, au-delà d'Archico, de Zoula, d'Assab et, à l'intérieur, jusqu'en Cheren, et là-haut sur le plateau, jusqu'à Asmara, Agordat, et au-delà, au-delà des frontières de la Colonie, dans les terres du Négus.
C'était un air de guerre. "
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- Participation au Mois Italien -
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Commentaires
1 Anne Le 25/05/2018
2 keisha Le 26/05/2018
3 Alys Le 26/05/2018
4 Marilyne Le 26/05/2018
@ Keisha : oui, l'auteur ( accompagné de sa traductrice ) m'a présenté les trois. On retrouve dans celui que tu as lu et le suivant un des personnage du premier ( il ne fait qu'apparaitre à la fin )
@ Alys : merci. Je ne connaissais rien à l'Italie coloniale. Et finalement, j'ai parfois pensé à ma lecture de " Obock " sur Rimbaud en Afrique.
5 maggie Le 26/05/2018
6 Lili Le 26/05/2018
Je note ce titre-là pour une nouvelle tentative l'an prochain ; je pense que ça pourrait me plaire !
7 MTG Le 27/05/2018
8 Annie Le 27/05/2018
9 yuko Le 27/05/2018
10 Marilyne Le 28/05/2018
@ Lili : oh, l'enfer ! J'ai eu plus de chance dans mes choix, ce qui me fait regretter de n'avoir a eu plus la dispo de lire-chroniquer plus des titres qui m'attendent.
@ MTG : alors, toujours difficile en ce moment... Oui, je crois qu'il t'aurait intéressé.
@ Annie : avec plaisir. Je crois que ce serait difficile pour moi de m'en tenir à une lecture de plusieurs tomes, je papillonne trop !
@ Yuko : comme une thématique italienne ces derniers mois ;)
11 Emma Le 01/06/2018