L'île panorama - Edogawa Ranpo
- Picquier poche -
- Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle -
Pour réaliser un rêve fabuleux, un étudiant, passionné par les oeuvres d'Edgar Poe, entreprend la construction d'une île idéale conforme à son imagination : usurpation d'identité, assassinat, délires mentaux, mystifications et mises en scène fantastiques nous entraînent dans un monde étrange et merveilleux, un paradis sur terre qui pourrait bien s'appeler aussi l'enfer.
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J'ai tardé à lire ce roman car j'avais lu il y a quelques années l'adaptation manga qui m'avait impressionnée.
Voici ce que j'écrivais à son propos :
- Casterman 2010 -
Ce manga grand format ( de presque 300 pages ) est l'adaptation d'un roman policier japonais de Ranpo Edogawa, lui-même admirateur de l'oeuvre d'Edgar Poe au point que son nom d'auteur en est une transcription phonétique.
Cette adaptation du mangaka Suehiro Maruo en est tellement fascinante que je ne sais plus si je dois lire le titre éponyme tant les images mettent parfaitement en scène l'atmosphère hypnotique.
Ce n'est pas tant la dimension policière qui saisit mais la tension fantasmagorique sur laquelle plane une ombre gothique et un goût de mort. Cette vision d'un l'esprit tourmenté est " fabuleuse ", cette aspiration à la création jusqu'à la profanation. Dès la première partie qui présente la mise en place du récit par le pourquoi et comment de l'usurpation d'identité et de la création de cette île panorama, malgré le réalisme, le trouble s'installe, la sensation d'étrangeté et de malaise s'insinue, déjà entre sensualité et morbidité.
En seconde partie, la visite de cette île relève de l'hallucination, d'un fantasme bien plus qu'érotique, une extravagance à ce point luxuriante qu'elle en est dérangeante, une débauche, oui. Un ensorcellement, la perversité d'une beauté obsédante et effrayante.
Le trait de Suehiro Maruo peut paraître classique. Pourtant, ce graphisme minutieux et fouillé - qui ne souffre pas de l'absence de couleur, au contraire - rend d'autant plus présent à la fois le contexte japonais que celui de cet univers d'illusions, de transgressions, entre rêve et cauchemar, " la folie de ce carnaval exceptionnel " ( R.Edogawa )
- Cet album a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire dans la catégorie Manga en 2011 -
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J'ai donc finalement lu, tardivement, ce roman. Je peux donc témoigner à quel point le manga lui est fidèle, que ce soit pour le déroulement du récit ou pour l'atmosphère. Edogawa Ranpo est un auteur de roman policier de la première moitié du XXème siècle ( 1894 - 1965 ), il n'était pas seulement admirateur d'Edgar Poe mais aussi lecteur de Maurice Leblanc et Arthur Conan Doyle.
Ce roman, L'île Panorama, date de 1926, ce qui rend les descriptions encore plus fantastiques; comme une impression de lire du Jules Verne lors de la visite de l'île, notamment la partie sous-marine. Je n'ai pas lu la nouvelle d'Edgar Poe qui inspire le roman, il s'agit de " Le Domaine d'Arnheim ".
J'ai du mal à considérer ce court roman ( à peine 150 pages ) comme un roman policier bien qu'il y ait tous les ressorts du genre, j'en retiens plus que l'intrigue la tension, la folie, cette sensation d'étrangeté et de malaise perçue lors de la lecture du manga déjà. Il semble que les motivations criminelles intéressent plus l'auteur que le crime. L'écriture de Edogawa Ranpo est particulièrement évocatrice quant à la perversité de l'utopie; écriture à la fois descriptive et elliptique. Ce que j'ai apprécié dans cette lecture par rapport au manga, considérant que le récit ne pouvait pas me surprendre, c'est que le personnage - personnalité et états d'âme -d'Hitomi Hirosuke soit plus développé - psychose de l'absolu de ses aspirations fantasques vécues en idéal - , ainsi que les troubles de sa relation avec la jeune épouse du camarade dont il a usurpé l'identité du fait d'une incroyable ressemblance.
Deux extraits choisis parmi les premières pages, mise en ambiance :
" ... on ne voit qu'un immense parc, mais certaines personnes ne pourront pas s'empêcher de penser que cela aurait pu être la réalisation d'un projet d'une ampleur extraordinaire, un moyen d'expression artistique, en même temps qu'ils ressentiront très certainement l'atmosphère de tragédie et d'épouvante qui se dégage de cet endroit. "
" En d'autres termes, son ambition était de recréer la nature à la place de Dieu. L'art, selon lui, pouvait être considéré comme une révolte de l'homme contre la nature, et aussi comme l'expression d'un désir de lui imprimer sa propre personnalité puisqu'elle ne le satisfait pas telle qu'elle était. Le musicien, par exemple, recréait le bruit du vent, le grandement des vagues et les cris d'animaux, le travail du peintre n'était pas de reproduire fidèlement son modèle, mais de le transformer et de l'embellir grâce à sa propre personnalité; quant au poète, il était loin d'être un chroniqueur consignant une banale réalité. Mais tous ces artistes étaient-ils satisfaits de ces moyens extrêmement compliqués, indirects et inefficaces que sont les instruments de musique, les couleurs et les mots ? Pourquoi ne remarquaient-ils pas la nature elle-même ? Pourquoi n'utilisaient-ils pas la nature en tant que musique, couleur ou mot ? "
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Commentaires
1 Lili Le 03/08/2018
2 Marilyne Le 03/08/2018
3 Kathel Le 03/08/2018
4 maggie Le 04/08/2018
5 Lilly Le 06/08/2018
6 Annie Le 09/08/2018
7 Marilyne Le 12/08/2018
@ Maggie : si tu apprécies E.Poe, tu devrais bien accrocher à celui-ci !
@ Lilly : j'ai découvert après lecture que l'auteur est considéré comme un " classique " du roman policier, tout en développant des ambiances particulières ( et tournant autour de la notion d'oeuvre d'art et de vision )
@ Annie : c'est tout à ton mérite de vouloir vaincre des réticences, je ne le fais pas bien souvent, il y a déjà tant de livres qui me rendent curieuse et me tentent.
8 dasola Le 17/08/2018
9 dominique Le 22/08/2018
j'ai un manga dans ma pal , et je ne l'ai jamais lu ; je n'ai même pas pensé à le lister... il serait emps que je m'en occupe.
10 Marilyne Le 23/08/2018
@ Dominique : merci pour ce commentaire. En effet pour cet auteur, je reconnais que sans le manga, je ne l'aurai pas connu. Je note ce " horrible et délicieux " qui confirme bien le style de l'auteur dont je reste curieuse.