Farallon Islands - Abby Geni
- Actes Sud - Juin 2017 -
- Traduit de l'anglais ( Etats-Unis ) par Céline Leroy -
Miranda débarque sur les îles Farallon, archipel sauvage au large de San Francisco livré aux caprices des vents et des migrations saisonnières. Sur cette petite planète minérale et inhabitée, elle rejoint une communauté récalcitrante de biologistes en observation, pour une année de résidence de photographe. Sa spécialité : les paysages extrêmes. La voilà servie.
Et si personne ici ne l’attend ni ne l’accueille, il faut bien pactiser avec les rares humains déjà sur place, dans la promiscuité imposée de la seule maison de l’île ; six obsessionnels taiseux et appliqués (plus un poulpe domestique), chacun entièrement tendu vers l’objet de ses recherches.
Dans ce décor hyperactif, inamical et souverain, où Miranda n’est jamais qu’une perturbation supplémentaire, se joue alors un huis clos à ciel ouvert où la menace est partout, où l’homme et l’environnement se disputent le titre de pire danger.
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Un beau roman, premier roman, qui se lit sans respirer alors même qu’il prend pleinement le temps de s’attarder sur ses personnages et ses paysages. On pourrait croire qu’il s’agit d’un roman noir, et pourtant, il est plus sauvage que noir, il est aussi l’instinct de retrouver la lumière.
« C’est un dessin au fusain qui va de la tâche noire au gris cendre. […] C’est un monde dénué de couleur, et pourtant, je lui trouve la beauté d’un arc-en-ciel »
Il y aura une couleur, ce sera le rouge. Et le blanc de la lune. Les îles Farallon portent bien le nom d’Archipel des Morts ; sur ces pages, elles sont l’archipel de la perte et des deuils, mais aussi celui d’une délivrance, de la consolation, de l’apaisement. Dans la douleur. Dans cette violence de ce paysage sauvage. Quelles descriptions prenantes et évocatrices distillées dans ce récit.
L’expression dans la quatrième de couverture Huis clos à ciel ouvert est parfaite pour situer l’atmosphère de ce roman, cette ambiance particulière autour de ces naufragés volontaires que nous suivons pour les quatre saisons ; à chaque scientifique sa saison qui rythme les parties du récit, la saison des requins, celle des baleines, celle des phoques, celle des oiseaux.
Avec la narratrice qui relit ses mots épars sur le bateau du retour, nous sommes accrochées à la lecture, comme elle l’a été sur les îles.
Et tout semble commencer par l’histoire du fantôme alors que les évènements qui vont s’enchaîner, se déchaîner, comme le vent, les oiseaux, sont férocement réalistes. Mais il n’y en a pas qu’un seul fantôme sur l’archipel.
« Autrefois, je croyais qu’il n’existait que deux états mentaux : la veille et le rêve. Le premier est conscient, logique, sain. Le second est chaotique, étrange. Je ne les avais jamais confondus. Mais ces derniers jours, il me semblait en avoir découvert un troisième : une brume crépusculaire située entre les deux premiers. Dans ce royaume de pénombre, tout ce qui m’entourait ressemblait à la réalité que j’avais toujours connue. L’océan et le ciel se rejoignaient sur une ligne précise. La gravité était toujours de mise. Les lois du quotidien s’appliquaient sans relâche. Et pourtant les monstres rôdaient. »
La narratrice, grande voyageuse sans attache, à ce qu’elle croit, y emmène sa mère décédée alors qu’elle était adolescente, cette mère disparue à qui elle écrit des lettres qu’elle éparpille à tous les vents depuis, depuis plus longtemps qu’elle ne l’a connue. C’est à elle que ce récit s’adresse ; le récit de cette année dans cet écosystème laissé à lui-même – sauvegardé et brut, ce sanctuaire marin inhospitalier couvert de roches craquantes. Un sanctuaire. Et des lettres qui nous offrent de belles réflexions sur la mémoire et sur la photographie. Sur la transmission, sur la conscience, ce qu’il en reste. Sur ce que l’on fixe, sur ce que l'on garde, garder dans tous les sens du terme.
« Se souvenir, c’est réécrire. Photographier, c’est substituer. Les seuls souvenirs fiables, j’imagine, sont ceux qui ont été oubliés. Ils sont les chambres noires de l’esprit. Fermées, intactes, non corrompues. »
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- Le billet enthousiaste de Kathel qui propose d'autres liens -
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- Une vue de l'archipel -
- Photographie d'Ellie Buechner du site Oceanic Society -
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Commentaires
1 chinouk Le 31/10/2017
2 Marilyne Le 31/10/2017
3 Kathel Le 31/10/2017
4 Aifelle Le 31/10/2017
5 Anne Le 31/10/2017
6 Mo Le 01/11/2017
7 Marilyne Le 01/11/2017
@ Aifelle : effectivement, je crois que tu ne vas plus pouvoir lutter... tu ne regretteras pas :)
@ Anne : je le pense aussi. Et puis ce bleu de la couverture sur ces rochers, et bien, c'est ce qui m'a accrochée l’œil, puis la main ...
@ Mo' : Il est très réussi, captivant et plus dense que la quatrième de couverture ne laisse paraître. J'ai plongé :)
8 Jerome Le 02/11/2017
9 Marilyne Le 02/11/2017