Em - Kim Thuy
- Liana Levi - 2021 -
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" Le mot em existe en premier lieu pour désigner le petit frère ou la petite soeur dans une famille : ou le plus jeune, ou la plus jeune de deux ami(e)s; ou la femme dans un couple. J'aime croire que le mot em est l'homonyme du verbe aimer en français, à l'impératif : aime. Aime. Aimons. Aimez."
Sur ces phrases s'ouvre le dernier roman de Kim Thuy, ce roman qui pourtant va raconter la guerre au Vietman, mais du point de vue du coeur, de l'amour.
Dans un article dans le JDD ( 24 mars par Karen Lajon ) Kim Thuy répond :
" Au départ, j'ai introduit l'amour parce que je ne connaissais rien à la guerre, j'avais peur d'affronter ce sujet de manière frontale. Je voulais juste raconter l'histoire d'une photo qui montre une petite fille posée dans une boîte en carton et un petit garçon qui dort à côté. C'est une vraie photo. Je voulais donner une vie au garçon."
Il s'agit d'une photographie, devenue iconique, de Chick Harrity, prise en 1973, pendant la guerre, à Saïgon.
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Par deux fois, Kim Thuy intervient dans le récit, en prologue puis en fin de récit, s'adressant directement à son lecteur pour lui dire son choix narratif, " un début de vérité ", c'est à dire des histoires vraies, mais seulement partiellement, incomplètement. Ce que veut dire l'auteure, c'est simplement qu'elle ne peut tout restituer de ces histoires, toutes les nuances, les émotions, tous les détails qui paraissent infimes et qui cependant demeurent dans le souvenir; qu'elle ne peut raconter tous les moments, toute la biographie de chacun des personnages.
Il y a du témoignage dans ce livre ( notamment pour l'orphelinat de Mme Naomi ), et d'autres photographies qui s'imposent, comme celles du massacre de My Lai.
Dont celle-ci, certainement, tant la description de la scène correspond à l'image :
- Unidentified Vietnamese women and children before being killed in the My Lai Massacre - 16 mars 1968 - Ronald L. Haeberle -
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" Si votre coeur se serre à la lecture de ces histoires de folie prévisible, d'amour inattendu ou d'héroïsme ordinaire, sachez que la vérité entière aurait très probablement provoqué chez vous soit un arrêt respiratoire, soit de l'euphorie. Dans ce livre, la vérité est morcelée, incomplète, inachevée, dans le temps et dans l'espace. Alors, est-elle encore la vérité ? Je vous laisse répondre d'une manière qui fera echo à votre propre histoire, à votre vérité. Entre-temps, je vous promets dans les mots qui suivent un certain ordre dans les émotions et un désordre inévitable dans les sentiments. "
A la façon de chroniques, les chapitres courts relatent le destin de personnages qui se croisent au Vietnam puis en expatriation. Le récit, chronologique, débute avec l'exploitation des populations par celle du caoutchouc, puis se déroule jusqu'au-delà de 1975, la diaspora après la guerre.
" La guerre, encore. Dans toute zone de conflit, le bien se faufile et trouve une place dans les fissures du mal. "
Ainsi, sans occulter la cruelle et sordide réalité, la violence, l'horreur, l'absurde, la misère,- " Avant l'apparition des drones, avant les attaques à distance, avant qu'on puisse tuer sans se salir ni les yeux ni les mains, les zones de combat étaient vraisemblablement les seuls endroits où les humains finissaient par s'égaliser en s'annulant les uns les autres " -, Kim Thuy nous raconte Alexandre, Mai, Tâm, sa nourrice, des pilotes d'hélicoptères, Louis, Em Hong... ; elle nous raconte le destin d'enfants métis, leur abandon, leur adoption - con lai, " enfant métissé " -, dévoilant ainsi le tableau d'un Vietnam populaire teinté des couleurs des substances chimiques déversées sur les arbres et les sols, avec des villageois, des vendeurs de rues de Saïgon et des soldats américains.
Kim Thuy nous raconte l'opération Babylift ( sortir du Vietnam les orphelins nés de soldats américains ) puis l'opération d'évacuation Frequent Wind en 1975, s'attardant ensuite sur le parcours des réfugiés sur le continent américain, notamment sur tous ces salons de manucure créés par les femmes vietnamiennes - " Selon les statistiques, elles ont tenu entre les leurs la moitié de toutes les mains aux doigts vernis. "
Ce sont " Tous ces fils de vie sur le fil du temps " qui constituent ce récit, à l'image de l'oeuvre en photographie sur la première de couverture : il s'agit d'une création en toile et broderie de soie de l'artiste peintre canadien Louis Boudreault pour ce livre. Kim Thuy explique en avoir suivi l'image - " jouer avec les fils du tableau " -
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J'ai beaucoup aimé ce livre, cette façon de raconter. J'ai aimé retrouver la voix de Kim Thuy. J'ai lu il y a peu Vi, le titre précédent, un peu déçue et frustrée parce que je n'y ai lu que ce que j'avais entendu lors d'une fabuleuse rencontre autour de son second roman - Man -, délicieux roman.
- Un podcast à écouter ICI, un entretien de Kim Thuy à propos de Em -
- Un entretien pour France Culture ICI : " Le Vietnam est dans mon sang et le Canada sous ma peau "
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- Semaine de la Francophonie avec Anne -
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Commentaires
1 Mina Le 27/03/2021
marilire Le 28/03/2021
2 Aifelle Le 28/03/2021
marilire Le 28/03/2021
3 Kathel Le 28/03/2021
marilire Le 28/03/2021
4 Anne Le 28/03/2021
marilire Le 28/03/2021
5 Autist Reading Le 31/03/2021
Mais j'ai toujours pris plaisir à l'écouter parler de ses romans et aussi de son fils, autiste. Ce que tu dis de ce nouveau livre, tant sur le fond que sur sa forme, m'intrigue. Je pressens que ça pourrait fortement me plaire. Sans doute l'occasion idéale pour, enfin, faire "connaissance" avec cette femme.
marilire Le 01/04/2021
6 Choup Le 31/03/2021
marilire Le 01/04/2021
7 Tania Le 01/04/2021
8 krol Le 04/04/2021
marilire Le 05/04/2021