L'autre Rimbaud - David Le Bailly
- L'Iconoclaste - 2020 -
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La photo est célèbre. C’est un premier communiant, cheveux sagement ramenés sur le côté, regard qui défie l’objectif. Il s’appelle Arthur Rimbaud. Mais sur le cliché d’origine posait aussi son frère aîné, Frédéric. Cet autre Rimbaud a été volontairement supprimé de l’image. Comme il fut oublié par la plupart des biographes.
Pourtant, les deux frères furent d’abord fusionnels, compagnons d’ennui dans leurs Ardennes natales. Puis leurs chemins se séparèrent. L’un a été élevé au rang de génie, tandis que l’autre, conducteur de calèche, fut banni par sa famille, effacé de la correspondance d’Arthur et dépossédé des droits sur l’œuvre.
En quoi était-il si gênant ce frère ? Pourquoi une telle conspiration familiale ?
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Impossible de résister à cet ouvrage repéré parmi les parutions de la rentrée. Il s'agit d'un roman-enquête, selon la formule de l'éditeur. Comme l'explique la quatrième de couverture, l'auteur part sur les traces du frère aîné d'Arthur Rimbaud, le grand oublié.
Ce frère, d'un an plus âgé, est effacé des biographies du poète ou à peine mentionné. Eloigné à l'âge adulte, il partagea pourtant l'enfance d'Arthur, des inséparables. Il faut dire que Frédéric n'avait pas les capacités intellectuelles de son frère, ni sa rage. Arthur Rimbaud, pour qui le proviseur du collège avait prédit : " Ce sera le génie du bien ou le génie du mal ! " . Frédéric, si fier de son cadet, semble avoir été un garçon simple qui ne sut pas se défaire, ni se défendre, de l'emprise de sa famille.
David Le Bailly n'est pas tendre avec la famille Rimbaud. Le portrait de la mère est terrifiant, une femme rigide, froide, âpre au gain, hautaine et arrogante. Il n'épargne pas non plus la plus jeune soeur, Isabelle, celle qui accompagna le poète lors de son agonie. Elle se désigna comme légataire testamentaire, entretenant une légende Rimbaud avec son mari, Berrichon, " premier biographe " ( alors même qu'il n'a jamais rencontré Arthur ), expurgeant la correspondance, lissant l'image du poète, plus de frasque, plus de révolte ( allant jusqu'à affirmer qu'il s'était converti sur son lit de mort et qu'il avait fait fortune en Afrique en tant que négociant-commerçant; n'hésitant pas non plus à spolier Frédéric de ses droits sur l'oeuvre d'Arthur). La photographie en première de couverture en est la démonstration, cette photographie falsifiée, l'image de Frédéric ayant été supprimée par Isabelle. Ce sera la photographie utilisée pour l'édition des oeuvres complètes en 1922. La photographie originale est présentée en deuxième de couverture : Arthur et Frédéric à leurs communions en 1866.
" De la vie d'Arthur, Isabelle et Berrichon ont fait une fable. Ce n'est plus un poète, c'est un demi-dieu, un prophète [...]. Lui, Frédéric, il sait. Il sait que le mensonge est le ciment de la famille. Ce qu'elle a trouvé de mieux pour se protéger des voisins, des " étrangers ".
Cet ouvrage ne nous parle pas directement de la poésie d'Arthur Rimbaud. Il s'agit bien de retrouver le frère, de comprendre son absence. Par ce biais, l'auteur nous livre un portrait de famille édifiant, un tableau d'époque sur ce monde paysan ardennais.
Le récit s'ouvre sur l'hommage au poète, la statue érigée à Charleville en 1901. Frédéric n'a pas été prévenu. Parce que Frédéric, c'est le frère déchu, celui qui est allé vers le père parti, celui qui a commis l'outrage suprême de devenir un " serviteur " alors que sa famille appartient à la classe des possesseurs, des maîtres, des rentiers. Frédéric Rimbaud était " le charretier ", conducteur d'autobus à la gare d'Attigny, " le domestique de l'Hôtel de la Gare ". " L'aîné de la famille était à présent un moins-que-rien, un déclassé ! Être un idiot ne lui suffisait pas, il fallut qu'il fut aussi un raté. "Sa mère lui coupa les vivres pour le punir de s'obstiner à vouloir épouser une jeune fille issue d'une famille trop pauvre à son goût. Frédéric viendra quand même à cet hommage.
" Et si la mère refusait de le voir au point de manquer la cérémonie, c'était son affaire. Elle n'avait qu'à s'en prendre à elle-même, à son orgueil. Afin de marquer le coup, Frédéric avait participé à la souscription. Il avait donné vingt-cinq francs. C'était une somme. Son nom, le nom d'un conducteur de calèche, figurerait désormais près de ceux d'André Gide, Pierre Louÿs, Camille Pissaro, Auguste Rodin ou Eugène Rouart. Berrichon avait protesté : Nous ne devons pas accepter l'argent de Frédéric !. Sous le prétexte qu'il eût été indécent, avait-il dit, que la famille Rimbaud participât financièrement à la glorification de son propre nom. Foutaises ! Il était surtout furieux car, désormais, il leur serait impossible de ne pas l'avoir sur le dos, ce Frédéric Rimbaud que, tous, ils prenaient pour un imbécile. Et voilà qu'en plus la pingrerie de la famille se voyait étalée au grand jour, la mère et la fille s'étant bien gardées, elles, de verser un centime. "
David Le Bailly cherche Frédéric, dans la correspondance ( il découvrira que Arthur n'a jamais soutenu son frère, le qualifiant " d'idiot " à propos, notamment, de son projet de mariage ), sur les lieux, jusque dans les cimetières, celui-ci n'ayant pas été inhumé avec sa famille, jusqu'à sa descendance qui s'en préoccupe et en sait bien peu.
Ce récit se déroule donc sur la période d'après la poésie. Ce dont il est question, c'est de postérité, d'héritage, de mémoire. Et de fratrie. L'auteur, avec Frédéric pour compagnon, revient sur sa propre histoire de fils unique, sur son fantasme du frère, sur les mythologies fraticides.
La plume est vive, le récit documenté sans occulter les parts d'ombre, les questions en suspens.
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Le magazine Lire-Magazine Littéraire ( puisque le rachat du second par le premier a eu lieu, depuis l'été c'est un magazine " fusion " qui est proposé ) consacre ce mois-ci un numéro spécial autour d'Arthur Rimbaud. Les articles, sans être d'une folle originalité, sont intéressants. Dans l'article intitulé " Sa descendance ", j'apprends que la chanteuse et auteure Patty Smith est passionnément rimbaldienne. En 2017, elle a racheté la maison reconstruite sur l'ancienne ferme de Roche ( la maison familiale Rimbaud ). Je cite l'article ( signé A.B ) : " Un amour de longue date : dans ses Premiers écrits, on trouve un poème où elle se met en scène faisant l'amour avec Rimbaud, et son dernier recueil, Dévotion, porte le titre d'une des Illuminations. "
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Ces derniers temps, je suis peu disponible, peu présente, souvent en déplacement. J'espère revenir régulièrement. J'aimerais reprendre le rendez-vous poétique mensuel, les chroniques d'expositions et de lectures non-fiction, et, pourquoi pas, la revue de presse initiée en mars, sans suite du fait des circonstances puis d'une reprise épique. Ce sont des voeux pieux, mais l'espoir, toujours l'espoir :). Pour l'heure, je me préoccupe de mes engagement de lectures communes et, je le souhaite sérieusement, de ma participation en novembre aux Feuilles allemandes. Manquer cette opportunité de mettre la littérature de langue allemande à l’honneur serait contrariant. J'essaie d'y croire ( en regardant la pile de romans germanophones qui m'attend patiemment ).
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Commentaires
1 Ingannmic Le 09/10/2020
Je ne savais pas, pour la fusion des 2 magazines, dommage... je préférais de loin Le magazine littéraire à Lire ..
Et RDV la semaine prochaine !
marilire Le 09/10/2020
2 Aifelle Le 10/10/2020
marilire Le 12/10/2020
3 Kathel Le 10/10/2020
Je vois que tu es bien occupée, et espère aussi que tu vas pouvoir écrire de nouveau plus régulièrement, pour notre grand plaisir !
marilire Le 12/10/2020
4 Alys Le 10/10/2020
Bon courage pour tout mener de front!
marilire Le 12/10/2020
5 Anne Le 11/10/2020
marilire Le 12/10/2020
6 Tania Le 12/10/2020
marilire Le 13/10/2020
7 krol Le 14/10/2020
marilire Le 15/10/2020
8 niki Le 16/10/2020
marilire Le 17/10/2020