Dernier jour à Budapest - Sandor Marai
- Albin Michel 2017 - Livre de poche 2019 -
- Traduit du hongrois par Catherine Fay -
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Ces derniers jours, en lecture, j'étais à Budapest avec les auteurs Sandor Marai et Gyula Krudy.
Ce roman est paru en 1940. Dans une préface ( rédigée pour la parution en allemand en 1979 ), Sandor Marai explique son projet : un double hommage. Le premier à l'écrivain, son prédécesseur, considéré comme un maître, Gyula Krudy, dont les livres sont peu connus alors qu'il est reconnu comme l'un des auteurs hongrois majeurs. L'écrivain fut prolixe, certains de ses romans sont traduits en français ( note en fin d'ouvrage ). De G.Krudy, j'avais lu N.N avec intérêt ( non chroniqué ).
Gyula Krudy a créé un personnage, pour un cycle de romans, qu'il surnomme Sindbad, un voyageur; personnage qui l'a rendu populaire. Sandor Marai s'empare de ce personnage, et de son auteur, pour ce récit. Sur une journée de printemps, Sindbad, vieillissant, " écrivain gentleman ", traverse Budapest, et il se souvient. Il se souvient de son existence d'errant, de ses amis, de leur plume, des lieux où ils se réunissaient, d'une époque révolue, " l'époque héroïque ", celle de sa jeunesse, de sa passion pour la littérature, dans cette ville. Une journée pour une vie.
C'est le projet premier de Sandor Marai lors de l'écriture de ce roman. Ressussiter la Budapest, la Hongrie, d'avant, d'avant la guerre. En lisant, on pense à Vienne, à Stefan Zweig, à Joseph Roth, " au monde d'hier ". Celui-ci est hongrois. Un temps, un mode de vie, une ville, un pays, sont évoqués-invoqués.
Nous suivons les pérégrinations de Sindbad à Pest, les cafés littéraires, les grands auteurs, les excentriques, les galants, les poètes, dans les bains ( institution hongroise ), les restaurants, les avenues, le long du Danube; nous suivons le flux de ses souvenirs d'une âpre intensité au fil des phrases longues, en méandres parfois, en réflexions sur la littérature, les femmes, la famille, la vie publique, les passions. C'est une quête bien plus que géographique, bien plus que temporelle, plus mélancolique que nostalgique, un égarement aussi.
L'écriture de Sandor Marai est magnifique, évocatrice, sensorielle. Le voyage à travers Budapest et les régions hongroises est sensuel, tous les sens sont convoqués, tous les parfums, les goûts, les lumières, les paysages, les intérieurs, les matières. Le récit est plus vif que ne laisserait paraître ce projet, son amertume. La plume est vive, enlevée, virile, drôle, parfois féroce ou fougueuse.
Une partie d'une cinquantaine de pages est magistrale, scandant " il écrivait parce que... ", nous entraînant pour chacune des saisons sur les routes hongroises, au coeur de la Hongrie, son pittoresque, son histoire, tous ses visages, ses campagnes, ses horizons.
Ces panoramas, ce sont ceux de " l'autre Hongrie ", tel que la nomme Sandor Marai dans la préface, " celle qui, à la suite de grandes transformations historiques et sociologiques, n'existe plus que dans les profondeurs de la littérature hongroise. Par exemple, dans l'oeuvre de Sindbad. "
J'ai aimé ce voyage, peut-être parce que j'aime la Mittel-Europa, peut-être parce que j'apprécie la plume de Sandor Marai, peut-être parce que j'ai voyagé, il y a longtemps déjà, en Hongrie. J'ai lu à plaisir certains noms de lieux qui ont ravivés mes propres souvenirs : les villes de Kercskemet et de Sopron, la Puzta - la grande plaine, le lac Balaton, le Danube, la musique et les danses à Budapest, les plats relevés de paprika.
En fin d'ouvrage, une notice présente les écrivains hongrois cités dans le roman, majoritairement contemporains de G.Krudy né en 1878, décédé en 1933 dans la pauvreté, auteur de près de 90 romans, plus de 2000 nouvelles, et de nombreux articles de journaux. Sur ces quelques pages de biographie minimale, j'ai tout de même reconnu des noms : Frigyes Karinthy, Dezsö Kosztolanyi - auteur de Alouette chroniqué ICI -, le poète Attila Jozsef.
Sandor Marai a écrit ses " Mémoires de Hongrie " ( disponible en Livre de poche ), des mémoires d'exil. Il me faudra les lire.
- Participation au Mois de l'Europe de l'Est -
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Commentaires
1 Patrice Le 18/03/2020
marilire Le 19/03/2020
2 claudialucia Le 18/03/2020
marilire Le 19/03/2020
3 Kathel Le 19/03/2020
marilire Le 19/03/2020
4 Lilly Le 19/03/2020
marilire Le 20/03/2020
5 Ingannmic Le 19/03/2020
marilire Le 20/03/2020
6 A_girl_from_earth Le 19/03/2020
marilire Le 20/03/2020
7 Aifelle Le 20/03/2020
marilire Le 21/03/2020
8 Lili Le 25/03/2020
En attendant, toujours à l'Est, ça y est, je suis enfin plongée dans Olga Tokarczuk et j'aime beaucoup ! Un avis plus étayé bientôt !
marilire Le 26/03/2020
9 Eeguab Le 25/03/2020
marilire Le 26/03/2020
10 Mina Le 29/03/2020
marilire Le 30/03/2020
11 lcath Le 09/04/2020
marilire Le 09/04/2020
12 athalie Le 21/04/2022
marilire Le 21/04/2022