Drapé
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Drapé est une exposition présentée aux Beaux-Arts de Lyon jusqu'au 08 mars 2020.
Le sujet est aussi précis que vaste, même en limitant la représentation du drapé à l'art occidental. Comment organiser une exposition sur cette représentation sans écraser le visiteur sous nombre d'oeuvres à la façon d'un catalogue ? Comment donner du lien, du sens; comment sélectionner parmi la quantité et la variété du corpus ?
Le choix de la commissaire d'exposition, Sylvie Ramond, directrice du musée des Beaux-Arts, est audacieux et pertinent. Le comment et le pourquoi. Ce projet a été pensé durant plusieurs années, il a bénéficié de précieux prêts. Le principe est de s'intéresser au processus créatif artistique. C'est pourquoi, pour cette exposition, il n'y a pas de partenariat avec le Musée des Tissus de Lyon ( jusqu'au 08 mars également, une exposition Yves Saint-Laurent ) mais avec la Maison de la danse.
La représentation du drapé concerne toutes les techniques artistiques. 250 oeuvres sont réunies, des sculptures, des photographies, des vidéos ( performances, danses ), des tableaux et, évidemment, environ 150 dessins, principalement des études. Le parcours s'intéresse au motif depuis la Renaissance jusqu'à l'époque contemporaine, s'introduisant dans les ateliers. Ce parcours n'est pas chronologique mais thématique, autour de la conception des formes drapées.
Le terme de Drapé n'est entré dans le vocabulaire artistique qu'à partir du XVIIème siècle, auparavant il relevait uniquement du domaine des tissus. Cette évolution correspond à celle du statut d'artiste, reconnu à la même période. C'est-à-dire que l'artiste n'est plus ( seulement ) un artisan, il intègre le champ considéré comme intellectuel.
Dès la première salle, mêlant déjà les époques, le ton est donné : le drapé sur les corps permet d'exprimer les émotions,les intentions, mieux encore que les visages, parfois voilés. Le drapé enveloppe le corps, figure de la douleur, de l'abandon. Une statue antique - une Suppliante - côtoie des photographies de Mathieu Pernod issues de sa série intitulée Les Migrants, personne enveloppée dans un sac de couchage ou un drap. Invisibilité ? Linceul ?
C'est la force pathétique du drapé.
- Mathieu Pernod - Les Migrants - 2019 -
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La scénographie de cette exposition est une réussite. De grands espaces mêlant les oeuvres et les " outils ". Dans la première partie du parcours, ce sont les pratiques d'ateliers. Ce sont les dessins d'études ( de David, Poussin, un Michel-Ange provenant du Bristish Museum - des dessins de Michel-Ange sont assez rares car il détruisait ses ébauches pour que ne reste que l'oeuvre finale plus en adéquation avec l'idée de " génie créatif " ).
- Michel-Ange - 1508-1509 -
- Etude de figure d'après mannequin pour la sibylle d'Erythrée ( Chapelle Sixtine ) -
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La pratique d'atelier, c'est l'utilisation des mannequins, petits et grands, taille réelle parfois, comme le montre l'exposition. Certains sont des miniatures, comme des maquettes, ils sont " habillés ". Ils peuvent être de bois, modelés en cire, en terre. C'est aussi le fameux bonhomme articulé, si représentatif de l'atelier de dessin. C'est également la pratique du modèle vivant, avec les polémiques d'époque : les femmes " honnêtes ", bourgeoises, ne peuvent se compromettre à poser pour un artiste. Les modèles sont donc souvent des prostituées ( posant pour des sujets religieux, comme la représentation de la Sainte Vierge... ). Plus tard, ce sera la pratique à partir de la photographie en complément.
L'exemple est donné avec l'artiste belge Fernand Khnopff photographiant sa soeur Marguerite :
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- Le Secret - 1902 -
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Les études présentées sont superbes ( dont de magnifiques sanguines ), on y croise Fragonard. On y voit l'évolution de la recherche sur le dessin, le travail sur les plis, la composition, les ombres et les lumières. Pour illustrer ( je me permets le mot ) ce processus, un espace est consacré à la Salomé de Gustave Moreau : Son tableau Salomé dansant devant Hérode a été exposé en 1876. Il en a commencé l'étude en 1869, ce qui représente une trentaine de dessins. Avec neuf de ces dessins, nous assistons à la création du tableau. D'abord la figure, dont le mouvement du corps évolue. Salomé est dessinée nue. Le peintre ajoute ensuite peu à peu les voiles, les tatouages, le décor. Gustave Moreau a utilisée une figurine en cire qu'il a modelée, puis drapée, ainsi qu'un modèle vivant.
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Avec Gustave Moreau, nous entrons dans la seconde thématique de l'exposition : le nu, cette " juxtaposition " nu/drapé. Il était recommandé aux artistes de maîtriser le dessin du nu, le dessin de l'anatomie, pour parvenir à représenter le drapé, les mouvements du drapé, le corps apparant en dessous.
" L'artiste ne vêt le nu que pour le montrer; il ne couvre que pour le manifester. Il s'ensuit que la draperie se doit de " caresser le nu " et de le " faire sentir " comme le disent nombre de théoriciens du XVIIème siècle. "
Il s'agit donc de dessiner d'abord la figure nue pour la draper ensuite puisque la forme du drapé dépend de la position du corps. Cette technique s'appelle " jeter " la draperie. Deux études pour Une figure féminine agenouillée nue de E.Degas mettent en évidence le travail de recherche avant l'étude du drapé sur la même figure :
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- E.Degas - vers 1860 -
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Sur le parcours de cette thématique, l'incontournable Picasso, Charles le Brun, Ingres.
- Charles le Brun - Draperie pour une femme debout de profil - vers 1630 -
Ingres reçoit en 1826 une commande de peinture pour le plafond d'une nouvelle salle au musée du Louvre. Cette peinture doit représenter " Homère recevant l'hommage de tous les arts, dont il est l'inventeur et le père ". Le peintre représentera deux figures personnifiant L'Iliade et L'Odyssée aux côtés de l'aède, pour lesquelles il pratiquera cette technique du dessin de nu premier puis du " jet " de draperie.
- L'Iliade en cours de drapage -
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- L'Iliade - vers 1850 -
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Les sculpteurs utilisaient également cette technique. Rodin donne à ce procédé une dimension pleinement artistique en l'exposant. Pour le monument des Bourgeois de Calais, chacun des six bourgeois ont été réalisés ainsi, en différentes étapes. La figure de Pierre de Wissant nous en donnait l'exemple : nu en terre cuite, en plâtre ensuite fondu en bronze. Cette étape de travail a été conçue comme une sculpture à part entière, autant que celle de Pierre de Wissant drapé.
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- Agence photographique du musée Rodin -
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La dernière partie de cette exposition s'intitule Anatomie de la draperie. C'est la draperie perçue comme " seconde peau ", les plis et replis, offrant peu à peu son " autonomie " à la draperie, devenue à la fois motif et sujet. Le dessin est détaillé ( en sculpture, en peinture, dans les oeuvres de plasticiens d'art contemporain ), le corps fragmenté, absent ou en mouvement. C'est le drapé qui anime l'oeuvre, le corps.
Des dessins de Dürer, de Fernand Léger ainsi qu'un - immense - de Ernest Pignon-Ernest ( qui bénéficie d'une exposition au Palais des Papes d'Avignon, jusqu'à fin février ) sont présentés.
- Etude pour l'installation La porte de Déméter à Naples -
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- Albrecht Dürer - Pan de draperie - vers 1508 -
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Le corps en mouvement, c'est la danse. Des esquisses, des photographies ( Man Ray ), des vidéos. Ce sont des dessins représentant Isadora Duncan dansant, c'est aussi la célèbre danse Serpentine de l'américaine Loïe Fuller. Avec des voiles et des couleurs des projecteurs, elle figure une fleur, un papillon, se métamorphose. Cette danse fut présentée au Folies Bergères en 1892. Vous pouvez la visionner ICI.
Dans la dernière salle, l'exposition ouvre vers le voilé/dévoilé, Eros et Thanatos, le voile autant érotique que symbole de deuil. Des photographies de Man Ray en témoigne avec Dali sous le drap s'amusant du mot Fantasma signifiant, en catalan et castillant, à la fois le fantôme et le fantasme.
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- Un bel article ICI avec des photographies des salles -
Cet article ( très ) long est subjectif et non exhaustif.
Vous subissez mon intérêt pour l'Histoire de l'Art concrétisé par une reprise d'études en amateur aux Beaux-Arts. Dites-vous que je vous épargne tout-de-même certaines visites ainsi que mes lectures et recherches, généralistes dans ce domaine, comme celles plus spécialisées art naïf/art brut pour lesquels je me passionne, vers lesquels je m'oriente, lentement mais sûrement :)
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Commentaires
1 niki Le 10/02/2020
cela m'a longtemps découragée à me remettre au dessin, mais bon c'est du passé tout ça - en tout cas, j'adore ton billet
marilire Le 10/02/2020
2 niki Le 10/02/2020
merci à toi de nous faire partager ce à quoi mènent tes cours, c'est enrichissant pour nous autant que pour toi
marilire Le 10/02/2020
3 Kathel Le 10/02/2020
marilire Le 10/02/2020
4 Aifelle Le 11/02/2020
marilire Le 11/02/2020
5 Alys Le 11/02/2020
marilire Le 11/02/2020
6 keisha Le 11/02/2020
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