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Gibier d'élevage - Kenzaburô Ôé
Paraît-il que nous sommes encore au mois de juin, c'est donc toujours le mois de la nouvelle chez Flo. Il semble qu'il soit temps de présenter quelques unes de mes lectures du genre... En voici un assortiment en format Folio 2 euros en plusieurs billets.
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- Traduit du japonais par Marc Mécréant -
En pleine guerre, un avion américain s'écrase dans les montagnes japonaises. Le rescapé est aussitôt fait prisonnier par les villageois. Or il est noir... Aux yeux du jeune enfant naïf et émerveillé qui raconte cet épisode, sa nationalité, sa race, sa langue n'en font pas un étranger ou un ennemi, mais une simple bête dont il faut s'occuper.
Un très beau texte pour qui veut découvrir l'oeuvre de Kenzaburo Ôé, l'un de ses premiers dans lequel se lit déjà la force de sa plume et son engagement pacifiste, son attention à l'enfance qui n'occulte pas la violence sourde de la société. Kenzaburô Ôé ne fait pas de concessions et pourtant, sous la cruauté des actes, la finesse du regard, sur les hommes, sur les paysages. Ce récit est profondément réaliste et humain, à la fois désespérance et espérance.
Cette nouvelle ressemble à une chronique villageoise, un été durant la Seconde Guerre Mondiale; un été bouleversé par la capture d'un soldat américain, un aviateur. Sur une narration en JE, un enfant narrateur, l'auteur décrit la fascination, la curiosité mêlée de terreur pour cet aviateur, l'ennemi - " Les ennemis, quelle tête peuvent-ils bien avoir ? " -, un homme à la peau noire. C'est la saison des pluies, le village est coupé de la ville la plus proche, il vit à son rythme rural ancestral de " vieux défricheurs ". La guerre n'y est qu'un écho. Elle entre avec le soldat dont ne savent que faire les villageois en attendant des instructions officielles. Il est enfermé dans une cave tandis que tous se pressent pour l'observer. La peur est démesurée face à cet homme désarmé aussi perdu que ces Japonais. Les barrières linguistiques et culturelles ajoutent au malaise. Peu à peu, ils s'apprivoisent. Jusqu'à ce que le contexte de la guerre ramène chacun à la folie et la haine.
Ainsi est filée dans ce récit la métaphore de l'humain, quelque soit sa nationalité, animal aux instincts sauvages. Chronique villageoise, récit d'apprentissage, fable, la densité du texte à peine tempérée par les descriptions de cette rude vie quotidienne enfantine encore rurale et par de belles pages offertes à la nature environnante, à l'atmosphère, au ciel, est impressionnante. kenzaburô Ôé n'explique rien, il raconte, d'une extrême précision quant aux émotions de l'enfant.
" ... un cauchemar tournoyait autour de nos personnes, se propageait à l'infini dans une sorte de bousculade au-dessus de nos têtes, voilà ce dont le monde était rempli jusqu'au bord. C'était le crépuscule. Un ciel couleur de cendre, d'un gris à vous tirer des larmes, avec de l'orangé pris dedans, obturais la vallée qui en paraissait plus étroite et plus creuse.
De temps en temps des gens y descendaient d'un bon pas, en silence, avec une assurance qui leur bombait le torse. Ils me donnaient mal au coeur; ils me faisaient peur; je me retirai de la fenêtre. C'était comme si, pendant le temps que j'étais resté alité, tous s'étaient complètement métamorphosés en êtres monstrueux n'ayant plus rien d'humain. Et mon corps me semblait aussi pesant que s'il eût été bourré de sable mouillé... "
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- Gibier d'élevage - Récit extrait du recueil Dites-nous comment survivre à notre folie - Kenzaburô Ôé ( présentation ICI ) a reçu le prix Akutagawa pour ce texte en 1958 -
- De la Pile à Lire avec Antigone -
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Commentaires
1 Loo Le 26/06/2014
2 keisha Le 26/06/2014
3 Asphodèle Le 26/06/2014
4 Marilyne Le 26/06/2014
@ Keisha : je lui avais promis du japonais ;)
@ Asphodèle : alors, je te tenterai peut-être avec un autre de ses livres, j'ai toujours le projet de chroniquer les titres nommés dans le billet de présentation de l'auteur...
5 Kathel Le 26/06/2014
6 Manu Le 26/06/2014
7 Marilyne Le 26/06/2014
@ Manu : oui, c'est vrai qu'on ne lit pas de la même façon une nouvelle japonaise, l'écriture y est dense, le format court s'y prête. Je crois que tu pourrais tenter.
8 Loo Le 26/06/2014
9 Marilyne Le 27/06/2014
10 Flo Le 30/06/2014
11 Marilyne Le 01/07/2014